Vivant, art et maths : langage et objets

Voici donc mon 2e post consacré aux maths dans ce blog. Le premier est paru, il y a juste un an (consacré aux fractales) et pour cause, c’était à l’occasion de la semaine des mathématiques du 14 mars au 20 mars. Rappelons que la Semaine des mathématiques organisée par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche correspond à un ensemble d’activités sur le thème des mathématiques : elles se déroulent aux alentours du « jour de π » (vous savez une valeur proche de 3.14 donc pour le fêter normal de se fixer au 14 mars)
Dans plusieurs villes, l’événement s’est clotûré par le forum des Mathématiques vivantes, une initiative de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques où des actions de médiation scientifique permettent de présenter des mathématiques vivantes à un large public.

J’ai assisté à quelques conférences et visité plusieurs ateliers du Forum des Mathématiques Vivantes sur le thème « Mathématiques et Langages » installé à Lille – Gare Saint-Sauveur. Voici un bref aperçu, malheureusement non exhaustif, de ce que j’ai pu croiser sur ma route.

Le langage mathématique dans la démonstration et l’algorithme
Cette conférence s’adresse aux enseignants, donc pas au « grand public » mais cela reste abordable et intéressant. Emmanuel Beffara, (Maître de Conférences, Institut de Mathématiques de Marseille, Université d’Aix-Marseille) nous fait donc plonger dans le langage propre aux mathématiques. Pour cela, on côtoie deux  thèmes importants liés à l’activité mathématique : la démonstration et l’algorithme.
La démonstration, dont les élèves ne voient pas beaucoup l’intérêt lorsqu’ils font leurs premiers pas dans le monde des mathématiques, est l’ossature même de l’activité : elle permet de vérifier qu’un énoncé est vrai et/ou de faire comprendre à son interlocuteur les engrenages qui conduisent à un certain résultat. Et j’aime la définition suivante :  » la démonstration consiste à montrer des certitudes absolues, indépendantes des opinions, des modes et du temps qui passe ! »
L’algorithme permet, tel une recette de cuisine, de décrire un procédé afin d’obtenir un résultat.
Les deux activités s’appuient sur tout un tas de symboles et un vocabulaire, des tournures syntaxiques bien spécifiques : nous voilà partis dans les « si… alors », « pour tout nombre ou distance… », « soit un nombre… ».
Pour le vocabulaire, c’est sûr qu’il est spécifique : on n’emploie pas tous les jours le terme « modulo » pour désigner le reste d’une division (euclidienne) entre deux « entiers » ou de « convergence de suite ».
On ne parle pas non plus d’axiomes (fondement d’un raisonnement, non démontrable) ou de lemmes (résultat intermédiaire d’une démonstration), de discriminant ou d’isomorphisme.
Entre la démonstration et l’algorithme, quelques petites différences de vocabulaire (la récurrence en démonstration devient itération dans un algorithme) existent : un apprentissage auquel les collégiens sont désormais initiés.et personnellement, ce n’est pas un mal, trouve-je.

Je rebondis sur cette intervention, car au-delà des idées véhiculées, c’est sur le thème du langage et des notations mathématiques que j’ai bien apprécié de pouvoir réfléchir. Certes, l’apprentissage du formalisme mathématique et la rigueur qu’il implique peuvent paraître rébarbatif, mais quel plaisir quand on parvient à en maîtriser suffisamment les notations et les concepts pour pouvoir s’exprimer (via une démonstration) et comprendre les autres, quelle que soit leur origine (culturelle et géographique).  Un plaisir proche de la créativité…

Les mathématiques dans l’entreprise

Une autre conférence portait sur la présence des maths dans l’entreprise. De nombreux métiers font appel aux mathématiques : météorologue (et sciences du climat), analyste financier, responsable qualité, sécurité, statisticien, astronome, ingénieur risques industriels… et quand bien même, les mathématiques ne font pas partie des thèmes phares d’une entreprise, il est tout de même plutôt porteur de présenter des aptitudes en mathématiques. En effet, le matheux a la réputation d’associer rigueur, capacité d’abstraction, autonomie et esprit critique, autant de qualités prisées dans le monde du travail.

Plusieurs invités (dont 3 femmes 😉 ) nous parlent alors de leur travail au quotidien dont les maths font partie intégrante. Quatre domaines bien différents sont représentés : motorisation aéronautique (Safran Aircraft Engine​s-ex Snecma), Informatique (IBM), Data Marketing (Market Espace), Commerce de détail (Kingfisher).


Les maths surgissent alors dans le cadre d’ études statistiques pour estimer le prix de vente idéal d’un produit,l’ analyse de risques dans la monde de la finance, les calculs et simulation numérique (conception de turbo-réacteurs d’avion, analyse de données pour la maintenance prédictive), l’analyse prédictive et gestion de données (informatique).

Stimuler l’admiration et le questionnement au quotidien

La Cité des Géométries (basée à Jeumont-59) est une association investie dans la médiation scientifique en milieu scolaire et périscolaire.

Faire connaître la beauté des objets mathématiques est une de leurs missions. Des posters dédiés « à la géométrie sphérique ou à section circulaire  » ont particulièrement retenu mon attention : cette géométrie, on la retrouve partout dans la nature car elle est le fruit de processus physico-chimiques où il s’agit de construire un maximum de volume avec un minimum de matière.

Cap sur les bulles, les mousses, les alvéoles des ruches d’abeilles… qui nous livrent quelques secrets. L’occasion aussi d’évoquer quelques noms de mathématiciens et de les découvrir. Maraldi a par exemple travaillé sur le calcul des angles du dodécaèdre et la structure hexagonale des nids d’abeille.

Se pencher sur ces questions est d’une importance capitale pour tout un tas d’autres applications. D’ailleurs, des architectes et des industriels s’en inspirent largement : et pour cause, ces géométries correspondent au meilleur compromis entre quantité de matière et volume maximal.

C’est la cas par exemple, de l’architecte allemand Frei Otto, contemporain, disparu en 2015 : il a beaucoup observé la nature qui l’a beaucoup inspiré. Les maths fut une partie intégrante de son travail d’analyse des forces en action dans la morphogénèse. Primordial pour pouvoir créer !

Pavillon allemand (par l’architecte Frei Otto) pour l’exposition universelle de Montréal 1967

Les recherches en laboratoire

Des recherches dédiées au mathématiques étaient également représentées lors de cette manifestation.

  • Maths, informatique et 3D

Les recherches du Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille (Université Lille 1 Sciences et Technologie)  portent en particulier sur la géométrie assistée par ordinateur pour créer des objets mathématiques en 3D et des anamorphoses.
Tout cela engendre de l’Art et c’est passionnant !
De quoi s’agit-il ? Un ou deux points parcourent à plus ou moins grande vitesse des figures simples, les segments joignant ces points dessinent alors des figures géométriques de toute beauté ! L’impression 3D fait alors naître l’objet.

De plus près

Voici les explications de Francesco De Comite sur son travail de programmation à l’intersection des maths et de l’Art. Des applications dans le domaine de la mode ont d’ailleurs pu voir le jour !

Un petit mot sur les anamorphoses : il s’agit d’images qu’il faut regarder d’un certain angle pour voir apparaître la « bonne » figure. Des courbes peuvent alors se projeter sur une sphère et devenir segments de droites… En voici un exemple : il faut se placer au centre et regarder la sphère que puisse apparaître la jolie figure hexagonale.

Crédit photo : F de Comite

  • Laboratoire Paul Painlevé

On ne quitte pas le domaine de la recherche, du 3D et de la géométrie avec un petit tour du côté du laboratoire de recherche en mathématiques Paul Painlevé avec l’un de ses départements « Géométrie et Topologie« . Pour happer le regard, et stimuler la créativité, des jeux de constructions 3 D sont proposés et permettent de faire naître des objets géométriques plus ou moins complexes.
Voici, par exemple, le C120 ou dodécaplexe (il contient 120 cellules dodécaèdriques) et permet de toucher du doigt les espaces de dimension supérieure à 3 ou hyper-espace (rappelez vous le tesseract dans « Interstellar », un cube en dimension 4).

En rotation, voici ce qu’on peut observer :

François Gueritaud, chargé de recherche et enseignant nous explique ses travaux. Il s’intéresse aux variétés et à leur géométrisation. Des variétés sont des classements pour chaque dimension, d’objets géométriques. Une « variété de dimension 2 » est une surface lisse, sans bord ni point anguleux, comme la surface d’un galet bien poli ou celle d’une bouée de piscine : deux variétés différentes car on ne peut pas passer de l’une à l’autre par simple déformation.
Géométriser c’est trouver des objets modèles pour chaque variété ; un modèle régulier, singulier, parfait : se rapprocher d’une sphère ou d’un tore pour le galet ou la bouée permet alors une « caractérisation » des familles.

Quand on passe aux variétés de dimension 3, c’est un autre paire de manches. Le travail du chercheur porte sur certaines variétés de dimension 3 à courbure nulle, appelées « espace-temps plats ». C’est assez complexe et nécessite un tel travail d’imagination loin de notre réalité perçue, que je ne m’y risque pas dans ce post (on y reviendra un de ces jours).
Quand on l’interroge sur les applications possibles de ces travaux, F. Guéritaud nous répond :

« A moyen terme, l’utilité effective de tels travaux, non motivés par des applications industrielles, c’est de nourrir un terreau mathématique et humain d’où émerge progressivement une connaissance, et un savoir-faire,  bien plus grands que la contribution d’un individu.

C’est peut-être aussi d’ajouter, ou plutôt de dévoiler, un peu de beauté dans le monde : quoiqu’il faille quelque travail pour l’apprécier, la puissante beauté qui se dégage de l’édifice mathématique ressemble davantage à la majesté du cosmos, ou à celle du vivant, qu’à une quelconque création humaine. C’est, pour moi, une raison suffisante de l’étudier. »


Voilà, si certains pensaient encore que les maths c’est compliqué, rébarbatif et peu « utile », j’espère que cet article pourra contribuer à révéler la beauté des objets qu’elles permettent d’appréhender et générer. C’est une pierre importante qu’elles apportent pour la compréhension du vivant et de l’univers et l’émerveillement qui en découle !

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