Ah que j’aime ce sujet ! Quand les éléments de la nature parviennent à réaliser des performances que l’homme, malgré son cerveau élaboré, ses puissantes capacités cognitives, ses connaissances cristallisées sur de complexes théories, bâties de toutes pièces puis validées, ses immenses moyens techniques, peine à atteindre, on ne peut que s’incliner et tenter de prendre de la graine !
A l’heure où sonnent les alertes face au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité, la pollution des sols, des eaux, de l’air, il serait peut-être bon de regarder d’un peu plus près du côté de la nature.
Bien sûr, de belles conceptions bio-inspirées ont déjà vu le jour tandis que des recherches intenses se concentrent sur différents organismes pour s’inspirer des prouesses de la nature : j’en ai parlé à plusieurs reprises sur ce blog déjà :
– S’inspirer du Scarabée du Désert pour récupérer l’eau du brouillard,
– Tenter de fabriquer du verre à température ambiante, en s’inspirant de l’éponge « Euplectella Aspergillum »,
– Chercher à synthétiser un fil aussi résistant et élastique que celui fabriqué par certaines araignées,
– S’inspirer de « l’économie circulaire » où certaines plantes carnivores trouvent leur compte dans les déjections de chauve-souris,
– S’inspirer des propriétés hydrophobes de la fleur de lotus,
Mais il y a encore tant à apprendre pour économiser ressources et énergie, pour réduire nos déchets et la dégradation de notre environnement.
C’est dans ce sillage passionnant que nous entraînent Gauthier Chapelle (et Michèle Decoust) par leur ouvrage paru récemment aux éditions Albin Michel « Le vivant comme modèle – La voie du biomimétisme ».
L’auteur y détaille son expédition en Antarctique, sa prise de conscience des problèmes de notre planète (réchauffement, pollution, déchets, épuisement des ressources, crise de la biodiversité, inertie et points de non retour, montée des eaux, le tout face à notre « goinfrerie énergétique »), sa découverte des principes du vivant, sa rencontre avec Janine Benyus célèbre pour ses travaux visant à s’élancer sur la voie du biomimétisme et la révélation de tout ce que la nature peut nous apporter en nouvelles idées dans des domaines des activités humaines aussi variées que l’architecture, les emballages, l’agriculture, la communication, la chimie verte !
Le biomimétisme peut se focaliser, comme on le conçoit classiquement sur des formes, des matériaux mais on a aussi beaucoup à apprendre de certains procédés et de l’organisation en réseaux : c’est ce qu’on nomme le « biomimétisme écosystémique » (de beaux exemples d’économie circulaire).
Je vous propose une petite sélection de modèles qui m’ont particulièrement frappée.
Le Martin pêcheur et notamment la forme de son bec a permis de résoudre le problème de l’onde de choc générée (bruits et vibrations dans l’environnement) par le passage d’un train grande vitesse dans un tunnel. L’oiseau doit en effet passer d’un milieu aéré à un milieu dense lorsqu’il plonge dans l’eau pour pêcher : sans perdre en vitesse, sans bruit, sans générer d’éclaboussure. Le secret réside dans la forme de son bec (profil courbe).
Le train grande vitesse provoque la compression de l’air qui s’accumule en nez de voiture : à la sortie du tunnel, la brusque détente de l’air s’accompagne d’un bang plus que désagréable.
En modifiant le profil du train le rendant particulièrement proche de celui du bec du martin pêcheur, la couche d’air comprimée ne s’accumule plus : pas d’onde de choc. Mieux, la consommation d’énergie en est réduite (et pour cause les frottements sont moindres).
Citons ensuite la fabrication de plastiques biodégradables grâce à la chitine présente dans la cuticule (couche externe protégeant les organes) chez certains animaux (crevettes ou champignons) associée la fibroïne (la protéine de la soie d’araignée) : c’est le matériau Shrilk développé en 2011 au Wyss Institut de Harvard. Le Shrilk (contraction de Shrimp et Silk) est aussi résistant que l’aluminium mais deux fois plus léger.
En ce qui concerne le biomimétisme écosystémique, l’auteur insiste sur l’importance de respecter un maximum de principes du vivant (qui sont au nombre de 16 et qu’il a rappelés en première partie d’ouvrage), et non pas uniquement s’inspirer d’une forme ou d’un matériau. Il faut avant tout cultiver « les relations de coopération », innover pour sortir de la compétition et travailler en symbiose sans véritablement de tête pensante qui contrôlerait tout.
C’est ainsi que s’organisent certains couples arbres / champignons. Pour faire court, la photosynthèse permet au monde végétal de fabriquer des sucres dont une partie acheminée vers les racines est récupérée par les champignons. En échange, ces derniers fournissent eau, phosphore et autres minéraux qu’ils peuvent facilement extraire du sol grâce à leurs longs filaments enchevêtrés et souterrains (le mycélium).
Dans l’histoire, les champignons sont connectés à plusieurs arbres : une énorme toile souterraine est à l’oeuvre. Des micro-organismes présents à l’interface racines-mycélium améliorent sensiblement la circulation de la matière et la récupération d’énergie.
Alors si notre organisation humaine prenait exemple ? Est-il possible de tourner le dos au gigantisme centralisé ? Est-il possible pour une entreprise par exemple de s’organiser en réseau de la sorte, sans chef, avec des décisions prises de façon collégiale ? L’exemple de Morning Star, industriel spécialisé dans la transformation alimentaire de tomates, est alors présenté. Pas de décision venant d’une seule tête dirigeante mais une organisation basée sur la gestion autonome, l’entre-aide entre collègues, l’écoute des plus expérimentés et pour tous, le sentiment d’appartenir à une communauté.
Bon, je ne sais pas si ces principes sont vraiment généralisables à tout type d’entreprises mais ça fait rêver !
Pour en savoir plus :
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/adma.201104051/abstract