Suite et fin du sujet consacré à la lumière vue sous l’angle de sa diffusion par le « verre ».
Dans la première partie, il était question de la difficulté de produire du verre : de très hautes températures sont requises afin d’ébranler la structure de la matière première (la silice) et d’affaiblir les liaisons présentes. On y parvient au prix d’un coût énergétique élevé.
Nous avions également évoqué un processus naturel : la foudre qui, toujours sous l’effet d’un apport d’énergie considérable, transformait des grains de sable en structures vitreuses, nommées fulgurites.
Aujourd’hui, je vous propose de plonger dans les profondeurs de l’océan et de découvrir quelques uns des secrets fantastiques d’une espèce d’éponge du Pacifique, « Euplectella », surnommée parfois « corbeille de fleur de vénus ».
Une éponge qui fabrique du verre
Les éponges se nourrissent simplement en filtrant l’eau qui les traverse (elles réalisent ce pompage grâce à la présence de cellules particulières munies de flagelles qui ondulent et permettent d’agir sur le déplacement de l’eau : l’éponge récupère l’oxygène dissous et des particules nutritives, micro organismes et débris organiques).
La fabrication d’un filtre efficace est donc primordiale et attirer efficacement les ressources alimentaires l’est tout autant.
Bien que considérés comme animaux primitifs (pas de cerveau, pas de cellules différentiées), les éponges n’ont pas fini de nous étonner. Parmi elles, se trouvent les Hexactinelles comme par exemple, l’espèce « Euplectella Aspergillum » (ou éponge à crevettes). Celle-ci a élu domicile dans les profondeurs marines (entre 35 et 5000 m de profondeur, dans le Pacifique sud, autour des côtes japonaises) et fabrique un squelette en fibres de verre, très flexibles, et les enchevêtre avec une précision époustouflante. Comment y parvient-elle ? Quelles sont les propriétés de la structure formée ? Pour quoi faire ?
Regardez-moi cela la transparence, la finesse et la précision de la chose.
La fabrication du verre
Le silicium est le 2e élément le plus abondant de l’écorce terrestre. Normal que certains organismes en tirent parti. Oui, mais nous avions vu dans la première partie, que la synthèse du verre nécessitait des températures élevées pour casser des liaisons.
Il y a une autre solution en fait : utiliser une protéine possédant des propriétés catalytiques, c’est-à-dire qu’elle facilite une réaction chimique, et l’accélère de façon importante. Grosso modo, l’enzyme agit en diminuant la barrière énergétique à franchir pour que la réaction se produise.
Une enzyme agit en particulier en se liant et en modifiant un environnement chimique ce qui facilite la réaction.
Dans le cas de notre éponge, cette protéine particulière est la (enfin l’une des) clé(s) du mystère: la silicatéine. Cette enzyme catalyse la formation de silice, accélère la réaction de polymérisation (par polycondensation) de blocs de Silicium-Oxygène à partir de silicates organiques présents dans l’eau.
Le mécanisme d’action de l’enzyme semble avoir été (au moins partiellement) élucidé. Sans entrer dans le détail, voici le principe : l’enzyme s’accroche aux silicates ce qui modifie la configuration de l’ensemble et favorise la polycondensation.
Mais d’autres protéines sont apparemment mises en jeu dans le mécanisme (complexe). L’une d’elle, baptisée « glassine » permet la polymérisation à pH neutre et une autre, la protéine « silintaphine » augmente l’activité de la silicatéine.
La structure obtenue
Avec un minimum de matière, conçue à température ambiante voire basse température (entre 0 et 30 °C), la structure obtenue possède de plus une résistance mécanique très élevée, tout en gardant une flexibilité incroyable. De quoi faire rêver les ingénieurs concepteurs de bâtiments, résines, céramiques, fibres optiques, dans un monde où la maîtrise de la consommation des matières premières et d’énergie est la clé de voûte d’un développement durable.
La charpente du squelette repose sur la fabrication d’aiguillons, de dimensions nanométriques, appelés spicules, à base de silice polymérisée bien sûr mais aussi de molécules organiques. Parmi ces dernières, on retrouve la silicatéine, qui forme un axe organique filamenteux ( les molécules s’auto assemblent pour former un filament) et permet la poursuite de la synthèse du spicule de structure vitreuse.
Bref, la silicatéine joue donc deux rôles :
– un rôle structurant (base centrale des aiguillons),
– un rôle catalysant pour la biosynthèse siliceuse.
La silice vitreuse se dépose alors couche par couche bâtissant des strates de taille nanométrique autour du filament central (qui se forme en premier dans son intégralité). Chaque strate est séparée de la suivante par un espace très fin de taille nanométrique rempli par la protéine-colle de silicatéine.
Les spicules se développent généralement selon plusieurs axes (voir la vidéo en bas de cet article).
Les spicules s’enchevêtrent, forment des faisceaux de fibres ce qui permet de construire un treillis à maillage carré, qui peu à peu s’organise en cercle sur un même plan, puis la structure se répète et croit en hauteur : un cylindre apparaît.
Les observations de détail indiquent un renforcement du treillis à base carrée par des fibres placées en diagonale et des études (voir la vidéo) ont montré que c’est ainsi que la structure gagne le plus en solidité.
Quant à la flexibilité, fort utile pour s’implanter dans un substrat parfois meuble, l’une des explications vient du gainage par couches du filament central et ce, à l’échelle nanométrique et de l’élasticité des protéines qui relient les différentes strates.
Les propriétés optiques
Ne perdons pas de vue notre thème initial, à savoir la lumière.
Et bien il s’avère que les propriétés optiques de ces fibres naturelles sont bien supérieures à celles des fibres artificielles. Le transfert et le guidage de la lumière sont exceptionnels.
Certes la quasi-perfection du verre bio-synthétisé à basse température (sans fissures comme cela peut se produire lors de la synthèse à haute température) y est pour quelque chose mais des recherches sur le sujet ont montré que les dimensions particulières autant du diamètre du noyau central que de l’épaisseur des couches empilées donnent lieu à un phénomène d’interférences constructives qui permet de réfléchir la lumière à l’optimum (et ce aussi bien pour les longueurs d’onde correspondant à l’IR, qu’au visible et qu’aux UV).
Certaines recherches ont également avancé la présence d’impuretés telles que le sodium dans la partie centrale des spicules, ce qui aurait un effet dopant pour les propriétés optiques.
Un vrai lampadaire au fond des océans!
Quelques aspects du mode de vie de l’éponge
Tout d’abord, il faut savoir que ces éponges ont une longévité incroyable : jusqu’à 13000 ans pour certaines d’entre elles.
Alors avec un si bel exosquelette (enfin pour nos yeux et ambitions d’humains) et surtout possédant des propriétés si étonnantes (la capture de la lumière), ces éponges interrogent les chercheurs sur les fonctions particulières qu’il pourrait revêtir. Y a-t-il une utilité quelconque à cette faculté de capturer et diffuser si efficacement la lumière ? D’autant plus qu’à ces profondeurs, la lumière du soleil a plutôt du mal à percer.
Non, visiblement ce n’est pas la lumière du soleil qui est diffusée mais celle issue de plusieurs organismes bioluminescents : plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer pourquoi les éponges de ce type sont (souvent) implantées aux mêmes endroits que les producteurs de lumière, surtout avec cette faculté de l’intensifier.
Cela permettrait d’attirer efficacement les ressources nutritives :des bactéries photosynthétiques, des algues par exemple.
Signalons aussi que l’éponge vit en cohabitation (voire en symbiose) avec des crevettes qui se logent, encore à l’état larvaire dans le panier tressé. Elles bénéficient des ressources alimentaires de l’éponge et s’y développent jusqu’à ne plus pouvoir sortir de leur « enclos ». Qu’à cela ne tienne, elles ont au moins là le gite et le couvert et sont à l’abri des prédateurs.
En retour, l’éponge peut se nourrir des déjections de ses invités.
Un modèle pour les productions humaines
Les technologies des fibres optiques ont beaucoup à apprendre de cette synthèse naturelle (lien).
Des gilets pare-balles à base d’un matériau reposant sur ce type de structure (résistant mais flexible) sont aussi à l’étude (lien).
Il serait également question d’utiliser les propriétés de la silicatéine dans des applications médicales telle que l’élaboration d’un revêtement de surface pour les dents ou des implants osseux : les équipes médicales ont réussi l’exploit en modifiant une protéine de façon à ce qu’elle ressemble à la silicatéine.
NB : Les diatomées, des micro-algues sont également capables, comme l’éponge, de fabriquer du verre, visiblement selon un mécanisme un peu différent.
Références :
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Aizenberg J. et al., « Biological glass fibers: Correlation between optical and structural properties », PNAS Vol 101(10), pp 3358-3363, 2004, lien
Weaver J.C. et al., « Hierarchical assembly of the siliceous skeletal lattice of the hexactinellid sponge Euplectella aspergillum », Journal of Structural Biology 158, pp 93–106, 2007, lien
112 (16), pp 4976–4981, 2015, lien
» New functional insights into the internal architecture of the laminated anchor spicules of Euplectella aspergillum », PNAS VolUte Schloßmacher, « The relevance of the silica metabolizing enzyme silicatein-α to biomineralization and the formation of biogenic silica in siliceous sponges », thèse de doctorat, 2012, Lien
Otzen D., « The Role of Proteins in Biosilicification », Scientifica (Cairo). 2012; 2012: 867562., Published online 2012 Oct 1. doi: 10.6064/2012/867562 – Lien
Wang X. et al., « Circumferential spicule growth by pericellular silica deposition in the hexactinellid sponge Monorhaphis chuni », Journal of experimental biology Vol
Sundar, V.C. et al., « Fibre-optical features of a glass sponge », Nature 424, pp 899–900, 2003
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