Je parie que comme moi, à la station service, vous vous êtes au moins une fois demandé quel était le meilleur carburant pour votre véhicule essence : sans plomb 95 ou sans plomb 98 ?
Quelle différence ? A quoi fait référence le nombre ? Est-ce que le passage de 95 à 98 est significatif pour la performance et la longévité du moteur ? Comment se justifie la différence de prix ?
Essence, pétrole, quel lien ?
On le sait bien, l’essence vient du pétrole. En effet, le pétrole est un mélange très complexe d’hydrocarbures de diverses natures chimique, qu’il convient de séparer. La technique employée est appelée distillation fractionnée (nous en parlions dans un très vieil article ICI).
Grosso modo, le pétrole est chauffé à environ 400 °C : les hydrocarbures les plus volatils sont les molécules les plus légères, les plus simples, possédant le moins de liaisons chimiques à casser. Bref ces hydrocarbures s’évaporent facilement et les vapeurs seront récupérées en haut de la colonne : ce sont des gaz tels que le méthane.
Au contraire, les molécules les plus complexes, les plus lourdes, possédant le plus de carbone se vaporisent très difficilement et restent en bas de colonne : ce sont les hydrocarbures lourds dont on fait du bitume et du fuel (à plus de 20 voire 40 atomes de carbone).
Entre ces deux extrêmes, des molécules plus ou moins légères se vaporisent, et en montant dans la colonne se refroidissent et recondensent à un palier précis dicté par leur température de condensation (liée à leur structure chimique).
On parvient donc ainsi à séparer l’ensemble des constituants. Mais pas tous de façon individuelle : ils sont regroupés par famille, avec pour chacune d’elle un nombre d’atomes de carbone compris dans un même intervalle (on parle de coupe) : les gaz (1%), les essences (22%), le kérosène, le gazole (27%) et les coupes lourdes comme le fioul lourd (41 %).
Les essences sont quant à elles, plutôt en tête de colonne, juste derrière les gaz.
L’essence légère
L’essence correspond à la coupe C5-C10 (entre 5 et 10 carbones) : ce qui correspond à des températures d’ébullition-condensation comprises entre 40 et 180 °C. Cela concerne plus d’une centaine de composés de structure très variable : linéaire, ramifiée, cyclique et aromatique.
Toutes les essences obtenues après cette première étape de distillation, ne sont cependant pas prêtes à l’emploi : tous les hydrocarbures qui la composent ne se comportent pas tous de façon idéale pour la combustion dans un moteur. Il faut alors favoriser ceux qui sont les plus adaptés.
Que se passe-t-il dans un cylindre de moteur ?
Un cycle moteur est composé d’une admission (1) (le mélange air/essence est aspiré dans le cylindre), d’une compression (2) (le piston comprime le mélange pour favoriser les rencontres entre les molécules combustible-comburant), d’une phase de combustion après allumage par l’étincelle(3) ce qui repousse le piston vers le bas. La dernière étape d’échappement (4) (remontée du piston) permet d’évacuer les gaz de combustion.
C’est bien sûr l’étape de combustion qui impulse le mouvement au piston et qui doit donc se produire « au bon moment »; en particulier, l’inflammation ne doit pas se produire avant l’allumage (étincelle de la bougie).
Or certains hydrocarbures lorsqu’ils se trouvent comprimés avec de l’air, finissent à partir d’un certain taux de compression par faire l’objet d’une auto-inflammation. La combustion explosive a lieu alors même que le piston n’a pas fini sa course. Il en résulte un pic de pression, une onde de choc (éventuellement une détonation) avec toutes les vibrations qui en découlent, et une surchauffe : le moteur subit alors des contraintes thermiques et mécaniques fortes pouvant induire des fissurations (voire des dégâts beaucoup plus grands). L’onde de choc se traduit par un bruit métallique caractéristique (cliquetis). L’autre conséquence fâcheuse est une perte de performance, et une augmentation des imbrûlés (d’où un encrassement, et des émissions dans l’air non optimisées).
D’autres hydrocarbures, au contraire, résistent à l’auto-inflammation, entrent en combustion uniquement au moment de l’étincelle. Bref, ils donnent lieu à une combustion douce, uniforme et non explosive : les gaz brûlent en se détendant.
Le risque d’auto-inflammation, variable selon le type de combustible, dépend aussi du régime dans lequel se trouve la voiture (faibles régimes ou super accélérations par exemple).
Qu’est-ce que le taux d’octane ?
Parmi les composés présents dans l’essence, les motoristes (et pétroliers en amont) s’intéressent de près à deux d’entre eux :
– l’octane (ou plutôt l’iso-octane), une molécule très ramifiée,
– l’heptane, une molécule très linéaire.
Ces deux hydrocarbures ont un comportement complètement opposé pendant le cycle moteur. L’iso-octane, avec toutes ses branches, est un des hydrocarbures les plus sympathiques vis-à-vis de la combustion : excellente résistance à l’auto-inflammation. On lui attribue par définition l’indice d’octane de 100.
Au contraire, l’heptane très linéaire, s’emballe vite sous pression : il est un candidat idéal à l’auto-inflammation. On lui attribue l’indice 0.
Comme on l’a précisé ci-dessus, l’essence est un mélange complexe qui ne contient pas que l’octane et l’heptane. Le taux d’octane 98 n’indique donc pas que l’essence contient exactement 98 % d’iso-octane. Il indique par contre que le mélange se comporte de la même façon qu’un mélange binaire (98% octane – 2 % heptane).
SP95 ou SP98 ?
Les raffineries vont donc essayer de produire des essences dont l’indice d’octane est le plus élevé possible afin d’obtenir un mélange « non détonant » pour les moteurs.
Pour cela, il faudra modifier un maximum d’hydrocarbures linéaires en hydrocarbures ramifiés (proches de la structure de l’iso-octane) ou cycliques (ces derniers résistants bien également à l’auto-inflammation). Ce procédé s’appelle le reformage.
Une autre solution consiste à casser des longues chaînes en chaînes plus courtes (indice d’octane plus élevé). Ce procédé s’appelle le craquage.
Enfin, une autre voie consiste à ajouter dans l’essence des additifs « anti-détonants ». Pendant longtemps, il s’agissait d’une molécule contenant du plomb. Pour limiter les risques sanitaires et environnementaux (et l’empoisonnement des pots catalytiques), de nouveaux additifs (à fort indice d’octane) ont été mis au point. L’essence est désormais « sans plomb ».
On comprend mieux pourquoi l’essence SP98 est plus chère que la SP95 : elle a nécessité plus de traitements (reformage, craquage, ajout d’additifs) pour augmenter le taux d’octane.
Du côté des motoristes, le design des cylindres joue aussi beaucoup. Ils doivent choisir au mieux le taux de compression :
– suffisamment élevé pour favoriser les rencontres entre molécules combustible-comburant, ce qui va jouer sur l’efficacité de combustion et la consommation du moteur,
– suffisamment bas pour éviter que le mélange s’enflamme spontanément trop vite.
D’autres optimisations permettent aussi de limiter les risques : comme l’optimisation dans le système d’injection ou l’instant où s’active l’allumage (réglage du système d’avance à l’allumage).
Certains motoristes travailleraient même sur un taux de compression variable, avec une course du piston modulable selon la conduite adoptée (démarrage, accélération…). Mais des voitures équipées de tels systèmes ne sont pas encore sur le marché.
Toujours est-il que le moteur d’une voiture est optimisé pour un certain type d’essence.
Bref, si le moteur est prévu pour une essence SP95, il n’y aura aucune bénéfice à passer à une alimentation en SP98.
L’inverse n’est pas vrai : en utilisant une essence présentant un risque d’auto-inflammation supérieur (SP 95) à ce qui a été prévu par le constructeur (SP98), le moteur ne sera pas utilisé dans ses conditions optimales.
Notons au passage qu’il existe dans certains pays des essences en vente libre possédant un indice d’octane supérieur à 100, prévues initialement pour les véhicules de compétition.
Question subsidiaire : pourquoi les chaînes ramifiées résistent-elles mieux aux fortes pressions ?
Beaucoup d’efforts de recherche sont consacrés à la compréhension des phénomènes d’auto-inflammation. Et visiblement, c’est loin d’être simple parce que des mécanismes chimiques en chaîne et des phénomènes physiques entrent en jeu.
Plusieurs mécanismes ont été mis en avant pour expliquer pourquoi des hydrocarbures linéaires résistent beaucoup moins bien que les chaînes ramifiées plus courtes.
Difficile de résumer cela de façon simple, mais on peut dire que ce sont des processus d’oxydation radicalaire en chaîne qui rendent le processus auto-acceléré et exothermique.
Ce qui semble important, c’est le type de radicaux formés (les radicaux sont des petites molécules intermédiaires très réactives car possédant des électrons non appariés) et les formes chimiques intermédiaires : les radicaux OH sont les plus actifs dans l’apparition du processus d’auto-inflammation.
Lorsque les molécules sont très compactes et ramifiées, on comprend bien que l’accessibilité est plus réduite : pas facile pour l’oxygène d’entamer son « travail de sape » des liaisons.
Les liaisons à modifier au sein d’un hydrocarbure linéaire sont à ce titre, plus accessibles.
Le mot de la fin :
Preuve est faite avec cet article, que les histoires de moteur, n’intéressent pas que ces messieurs… Ma curiosité me perdra !
Si cet article vous a plu, merci de partager ou de vous abonner à la page.
Pour en savoir plus
http://fr.wikipedia.org/wiki/Raffinage_du_p%C3%A9trole
http://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_d’octane
http://fr.wikipedia.org/wiki/Moteur_%C3%A0_combustion_et_explosion
http://www.essentialchemicalindustry.org/processes/cracking-isomerisation-and-reforming.html
http://etheses.whiterose.ac.uk/4197/1/Mohamed_C_Chemistry_PhD_1997.pdf
38 comments for “SP95 ou SP98, que choisir à la pompe ?”