Comme tous les étés, notamment quand sonne l’heure des escapades sur les plages, les enfants aiment ramasser des coquillages…Evidemment, selon l’endroit où on se trouve, la récolte est différente. Il y a un type de coquillage qui remporte souvent un vif succès : le chapeau chinois. J’ai nommé « la patelle commune » , l’arapède ou encore la « bernique », un gastéropode marin !
Savez-vous que ce coquillage a un point commun avec le Petit Poucet : il s’installe sur un rocher, où il élit domicile mais lorsqu’il part en balade, il sème (non pas des petits cailloux) mais une trace visqueuse, qui lui permettra de rentrer au bercail sans encombre, exactement au même endroit que son point de départ sur le rocher.
Mais présentons un peu la bête… qui a plus d’un tour dans son sac !
Régime alimentaire et moyens mis en oeuvre :
Ce mollusque est herbivore et se nourrit des microscopiques algues qui recouvrent les rochers. Il broute de façon très efficace en laissant traîner une sorte de langue râpeuse (la radula) qui racle la surface rocheuse (un organe présent chez la quasi totalité des mollusques).La râpe est en fait constituée de minuscules dents (à base de chitine, comme ce qui compose la carapace des crustacés) qui laissent peu de choses sur leur passage ! Quand on observe au microscope, la dite radula, on comprend aisément son efficacité…
Si cette caractéristique physique est à coup sûr primordiale pour une attaque mécanique du substrat, la composition chimique est également un atout [1]. En effet, il s’avère que ces petits dents sont très riches en fer (sous forme de magnétite), notamment au niveau des arêtes (cuspides) ce qui augmente leur résilience (capacité à « absorber » un choc). En fait, c’est l’optimisation entre la taille, l’organisation et la composition minérale des dents qui assure leur longévité et celle de l’animal (par une bonne capacité à se nourrir). D’ailleurs, il n’est pas rare de trouver des chapeaux chinois âgés d’une bonne dizaine d’années.
Du côté du sol, l’érosion est marquée : on parle de bio-érosion. D’ailleurs, certains s’en inquiètent (voir ICI).
Un déplacement efficace
Alors évidemment, pour aller brouter les algues de la roche, il faut pouvoir se mouvoir. Cependant, une grande particularité du chapeau chinois est qu’il retourne toujours au bercail… Comment fait-il ? Et pourquoi ne pas élire domicile en différents endroits ?
Pour retrouver son chemin, la patelle suit les traces de mucus qui ont été déposées lors de son déplacement. Il semble que la sécrétion de mucus ait un coût énergétique très élevé [2] (environ 35 % de l’énergie disponible, soit beaucoup plus que pour le déplacement proprement dit). En effet, le mucus est constitué de protéines et de polysaccharides (des tas de molécules de sucres simples accrochées entre elles, comme dans le riz ou les pommes de terre). Toute cette énergie dépensée pour retrouver son chemin ?
Oui, parce que le bénéfice pour la bête l’emporte sur le coût. Il s’avère que le mucus joue sur tous les fronts :
– il aide au déplacement proprement dit,
– il permet le retour à domicile,
– il permet de trouver un partenaire,
– il stimule la colonisation de micro-algues (ce qui s’appelle cultiver son jardin !),
– il possède des propriétés adhésives comme une glu.
Le rôle premier du mucus est de favoriser le déplacement. Il réduit le frottement entre l’animal et le sol rugueux. Les propriétés rhéologiques du mucus lui permettent de glisser sur un film élastique.
En ce qui concerne le retour à domicile, il est primordial. En effet, le bord de la coquille s’applique étroitement au rocher en épousant ses éventuelles irrégularités, car à marée basse, le mollusque survit en enfermant une petite quantité d’eau qui lui permettra de tenir (récupération de l’oxygène dissous) : il y a donc intérêt que l’association mollusque-sol soit hermétique et étanche.
Bref, après une petit balade, il faut pouvoir s’enfermer de nouveau en toute sécurité et retrouver l’endroit exact où la coquille s’adapte parfaitement.
Une fois en place, c’est encore le mucus qui s’intègre dans la stratégie d’adhérence au rocher (en plus du phénomène physique lié à la création de vide).
Les traces de mucus sont également un sillon privilégié pour l’adhésion de micro-algues en suspension dans l’environnement proche. Ainsi, en se déplaçant, la patelle laisse traîner un piège pour mieux se nourrir au retour.
Quelques caractéristiques du mucus
Le mucus est donc à la fois utilisé pour la locomotion et l’adhésion. Comment parvenir à cette double fonctionnalité ? Un petit tour du côté de la physico-chimie du mucus pour tâcher d’y voir plus clair.
Le mucus en question est un gel, donc surtout constitué d’eau (90 %) avec des protéines et polysaccharides organisés de façon à former un réseau à la fois souple et « collant ». Il y a 2 à 6 fois plus de protéines que de sucres [3] ce qui signifie que les protéines constituent le squelette de base auquel les polysaccharides sont accrochés en conférant à l’ensemble rigidité, viscosité et souplesse.
Mais il semblerait que selon l’utilisation qui est faite du mucus (locomotion ou adhésion), la patelle en fabriquerait deux types possédant des protéines différentes (nature et concentration) ce qui joue sur les propriétés adhésives. D’autres explications ont également été avancées : un phénomène de déshydratation du gel muqueux explique aussi la modification des propriétés adhérentes.
Bref, une langue râpeuse, un mucus ultra perfectionné, voilà encore une espèce parfaitement adaptée à son environnement … Mais s’il en était autrement, on n’en parlerait même pas.
Vous ne regardez plus jamais les chapeaux chinois de la même façon !
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Références
1- Shaw. et al. « Tooth Use and Wear in Three Iron-Biomineralizing Mollusc Species », Biological Bulletin, vol. 218 no. 2, pp 132-144, 2010, Lien
2- Davies. M., Beckwith P., « Role of mucus trails and trail-following in the behaviour and nutrition of the periwinkle Littorina littorea », Marine ecology progress series, Vol. 179, pp 247-257, 1999 , Lien
3- Smth A., « The structure and function of adhesive Gels from Invertebrates », Integrative and Comparative Biology, Vol. 42(6), pp 1164-1171, 2002
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