Au lendemain de ce terrible accident nucléaire au Japon, voire catastrophe, l’issue n’étant toujours pas au rendez-vous, il m’a semblé important de publier un post, très vulgarisateur sur le nucléaire. Le but : rendre compréhensible le vocabulaire souvent entendu ces jours-ci avec des mots comme fission, REP, REB, EPR, MOX, radioactif, mettre un peu de lumière sur ce dossier, on ne peut plus « chaud », pour que tout à chacun puisse aborder et trier les différentes informations qui nous parviennent (via communiqués de journalistes ou des sites de vrais experts français tels que les instances gouvernementales comme l’ASN ou l’IRSN).
Pour commencer très simplement et par le début, comment fait-on de l’électricité ?
Pour produire de l’électricité, il faut partir d’une génératrice c’est-dire d’un appareil qui transforme de l’énergie mécanique (de l’énergie contenue dans un mouvement) en énergie électrique.
C’est le rôle de l’alternateur qui est constitué d’un rotor et d’un stator. Le rotor, une partie tournante (car associé au mouvement) est un aimant ou un électro-aimant. Le stator, lui est constitué d’un enroulement c’est-à-dire un circuit dans lequel va apparaître le courant électrique. Ce phénomène se produit selon le principe de Faraday : lorsqu’un aimant se déplace près d’un circuit électrique, apparait dans ce dernier un courant. Rappelons-nous la dynamo du vélo, le courant est généré par la roue qui tourne.
Principe des centrales électriques.
Bref, pour produire de l’électricité à grande échelle, il nous faut créer le mouvement de rotation, comme pour la dynamo de votre vélo et ce, de façon continue. Dans bon nombre de machines productrices de courant, ce mouvement est créé par une turbine, un élément qui ressemble à une roue de moulin avec des aubes (de profil bien étudié pour minimiser les pertes) et dont la rotation est générée par un fluide qui possède suffisamment d’énergie pour « pousser » les aubes.
Le fluide en question, dans des centrales thermiques ou nucléaires, c’est en majeure partie de la vapeur d’eau à haute pression, haute température, donc à forte énergie (on parle d’enthalpie de la vapeur).
Cette vapeur à forte enthalpie, il faut la produire, et c’est bien là le cœur du procédé. On part donc d’eau liquide (ultra pure pour éviter des contraintes de dépôt et de corrosion dans la chaudière), qui va être pompée puis chauffée en différentes étapes, pour atteindre les bons paramètres de pression et température à l’entrée de la turbine.
Pour cela, il n’y a pas 36 solutions : il faut la mettre en contact avec une source de chaleur et en utilisant des échangeurs de chaleur disposés soit dans une chaudière soit dans un réacteur.
1ere option : les échangeurs de chaleur sont disposés dans une grande chaudière : l’eau qui circule dans les tubes des échangeurs récupère la chaleur dégagée par la combustion d’un combustible (charbon, gaz, pétrole, biomasse). C’est le principe des centrales thermiques à combustible fossile ou encore des cycles combinés gaz.
2e option : l’échangeur est disposé dans un grand réacteur : l’eau qui circule dans les tubes de l’échangeur récupère la chaleur dégagée par une réaction nucléaire. C’est le principe des centrales nucléaires.
La filière nucléaire
Pour présenter le nucléaire, il faut d’abord parler de l’atome. La matière, comme l’avait pressenti Démocrite il y a déjà 25 siècles, est constituée d’atomes, c’est-à-dire de grains de matière insécables. Au centre, se trouve un noyau constitués de charges positives et neutres qu’on appelle d’ailleurs « les nucléons », et autour un cortège d’électrons, disposés sur différentes couches selon la nature de l’élément chimique dont on parle.
Le terme nucléaire, a pour étymologie « nucléus » mot latin qui signifie « noyau ». On ne s’intéresse donc ici qu’au noyau de l’atome.
Alors que se passe-t-il exactement ? Certains atomes dits « lourds » possèdent un noyau si dense, qu’ils sont instables. Il se produit alors des réarrangements au sein de ces noyaux de façon à s’alléger et être plus stables. L’ensemble de ces phénomènes par lesquels un noyau se réorganise de la sorte s’appelle de la désintégration radioactive. Il y a alors émission d’un rayonnement sous forme d’énergie pure (rayons gamma) ou sous forme particulaire (rayon alpha (= noyau d’hélium) – rayon béta (émission d’un électron) ainsi que dans tous les cas, la production d’une très grande quantité de chaleur.
Mais les réactions nucléaires peuvent aussi être provoquées : on donne un petit coup de pouce aux atomes instables pour qu’ils se désintègrent. Ainsi en percutant un atome lourd instable, avec un neutron, son noyau se brise en deux noyaux plus petits et une grande quantité de chaleur est libérée : c’est la fission nucléaire. En se brisant, l’atome libère deux ou trois neutrons qui iront à leur tour briser d’autres noyaux dans une réaction en chaîne dégageant de grandes quantités de chaleur. On comprend ainsi ce qu’est « l’emballement » d’une réaction.
L’autre type de réaction nucléaire appliquée (ou en en cours d’application) est la fusion nucléaire, c’est exactement ce qui se passe dans le soleil et les étoiles (à ne pas confondre avec la fusion du cœur d’un réacteur qui est un passage de l’état solide à l’état liquide (ou pâteux)). Dans le cas d’une fusion nucléaire, ce sont deux atomes légers qui s’associent : les deux noyaux s’interpénètrent pour former un noyau plus lourd (deux atomes d’hydrogène (deutérium et tritium plus exactement) qui s’assemblent pour former de l’hélium). De cette fusion, naissent de grandes quantités de chaleur bien supérieures à ce que donne la fission d’où son intérêt pour l’avenir. Néanmoins, pour que la fusion se fasse, il faut vaincre la forte répulsion des noyaux légers (même charge) en se plaçant à des températures extrêmement élevées (plusieurs millions de degrés) ce qui n’est pas sans poser des défis techniques. L’énergie libérée étant cependant bien supérieure à l’énergie consommée.
Les réacteurs nucléaires
Pour en revenir à nos moutons, c’est-à-dire à la production d’électricité, le principe d’un réacteur nucléaire est donc de provoquer une réaction de fission à partir d’un combustible fissible : par l’exemple de l’uranium 235 (U235) ou le plutonium 240 (Pu240), des éléments très lourds (beaucoup de protons dans le noyau). Pour ce faire, le cœur du réacteur est constitué par les assemblages de ces éléments sous forme d’oxydes conditionné en petites pastilles enfermées dans des gaines métalliques : soit de l’uranium enrichi, soit plus récemment le MOX (pour Mélange d’Oxydes) un mélange à base de plutonium et d’uranium appauvri : c’est là que se produit la réaction de fission en chaîne décrite par la figure ci-dessous, elle est provoquée par l’émission continue et contrôlée de neutrons.
Pour évacuer la chaleur issue de la réaction et former la vapeur à turbiner, les assemblages contenant les éléments radioactifs sont placés dans une cuve remplie d’eau : c’est l’échangeur décrit plus haut. A ce niveau, deux technologies différentes ont été mises au point:
1e option : L’eau maintenue sous une pression élevée (150 bars environ) s’échauffe à plus de 300°C tout en circulant dans le circuit dit « primaire ». Par l’intermédiaire du générateur de vapeur, c’est-à-dire un 2e gros échangeur, indépendant du réacteur, l’eau du circuit primaire transmet sa chaleur à un autre circuit fermé : le circuit secondaire, où de la vapeur est produite pour la turbiner. C’est la technologie REP : réacteur à eau pressurisée qui constitue la totalité du parc français.
2e option : l’eau du circuit primaire est autorisée à bouillir, car elle n’est pas mise sous pression. Mais il n’y a pas d’échange avec un second circuit : la vapeur produite est directement turbinée. C’est la technologie REB : réacteur à eau bouillonnante qu’on ne rencontre pas en France mais en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon.
Questions de sécurité
La marche d’un réacteur nucléaire (contenu dans des enceintes de confinement en béton) est prévue pour être contrôlée avec précision. Pour le faire démarrer, l’arrêter, moduler sa puissance, on contrôle la réaction en chaîne au moyen de « barres » en matériaux qui ont la faculté d’absorber les neutrons. En cas de situations anormales, les barres de sécurité chutent dans le réacteur, stoppant instantanément le réacteur.
L’autre sécurité principale est constituée de circuits de refroidissement qui permettent d’évacuer la chaleur dégagée par l’inertie de la réaction (puissance résiduelle).
En cas d’emballement de la réaction, les températures deviennent vite incontrôlables, provoquant la fusion des gaines métalliques, qui sont généralement en zirconium, élément qui peut engendrer de l’hydrogène (réaction avec la vapeur d’eau). L’hydrogène réagit de façon explosive avec l’oxygène de l’air : de la radioactivité est alors dispersée dans l’air. Au niveau du cœur, la montée en température peut conduire à la formation d’un corium de combustible : un magma qui peut percer la cuve du réacteur et polluer les sols.
L’avantage de la configuration (REP) est éventuellement un meilleur confinement de la radioactivité en cas de problème.
L’avenir du nucléaire
Les deux types de réacteurs décrits ci-dessus sont des réacteurs de seconde génération développés dans les années 70. Depuis, des améliorations constantes ont été apportées à différents niveaux dont le rendement de la réaction, les matériaux utilisés pour les gaines (dont la corrosion doit être à tout prix évitée), les modes d’exploitation, le cycle du combustible, sa nature, le design pour assurer un maximum de sécurité.
La 3e génération est prête à être construite : il s’agit en particulier de l’EPR (European Pressurized Water Reactor) dont le premier prototype est construit en Finlande. Un autre chantier a démarré en France à Flamanville. La grande avancée sera liée à un meilleur rendement (de façon à utiliser moins de combustible et donc générer moins de déchets), une plus grande puissance (1600 MW contre 900 -1400 MW pour la génération actuelle) ce qui pourrait permettre de limiter les sites de productions (en nombre) à condition que le réseau électrique puisse supporter une telle puissance. Un nouveau dispositif de confinement équipera également cette 3e génération, avec notamment un cendrier refroidi sous le cœur du réacteur (qui permettrait de contenir un cœur en fusion) et davantage de circuits de sûreté (4 circuits de refroidissement indépendants).
Mais le bond technologique se ferait avec les réacteurs de la génération 4 qui pourraient entrer en service à l’horizon 2030-2040. En effet, plusieurs projets se font concurrence mais ils changent complètement le procédé : nouveau combustible, nouveau cycle, nouveau caloporteur (gaz, ou métal liquide) et la sûreté. De plus, il est prévu d’utiliser ces réacteurs à des fins d’utilisation diversifiée (électricité, chaleur, traitement de l’eau , production d’hydrogène).
Enfin, le grand rêve est la fusion nucléaire contrôlée : le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Un prototype est en construction en France afin de vérifier la faisabilité du procédé pour la production de chaleur (avant de passer à l’étape électricité, et la création d’une centrale électrique de démonstration). Mais de gros challenges technologiques (comme évoqué plus haut) sont à relever.
Quelques mots sur Fukushima
La centrale de Fukushima possède 6 réacteurs de technologie REB dont un fonctionnant avec du MOX comme combustible (donc un peu de plutonium- peu qui s’avère être déjà « beaucoup » en cas d’accident -).
Trois des réacteurs n’étaient pas en fonctionnement lors du séisme. Les 3 autres (N°1, 2 et 3) étaient en exploitation. Au moment du séisme, les consignes de sécurité se sont déclenchées et les barres de contrôle ont fait leur travail. Seulement, l’énorme vague due au Tsunami qui a suivi le séisme (deux catastrophes naturelles, liées certes mais coup sur coup, ca fait un peu trop !) a mis à mal les systèmes de refroidissement : plus moyen d’évacuer la chaleur due à la puissance résiduelle (les atomes lourds qui continuent à se désintégrer dégagent de la chaleur). Sans refroidissement suffisant, les températures montent de plus en plus, l’eau dans le réacteur se vaporise (d’où un risque de montée en pression, et les éventages de vapeur à l’atmosphère réalisées par l’exploitant) et les gaines qui entourent le combustible fondent (autour de 1000°C). Ces gaines qui doivent être à l’épreuve de la corrosion, de l’irradiation tout en étant perméables aux neutrons (et ce dans le temps et sous haute température), sont en zirconium un élément qui rassemble ces propriétés. Malheureusement, en fondant il réagit avec la vapeur d’eau et produit de l’hydrogène. Ce dernier réagit vivement avec l’oxygène de l’air, provoquant une explosion (c’est ce qui s’est passé sur les réacteurs de la centrale de Fukushima) qui peut endommager l’enceinte de confinement, et notamment son étanchéité.
Bref, sans système de refroidissement, la température grimpe de plus en plus jusqu’à faire fondre (passage de l’état solide à l’état pâteux) le cœur dans le réacteur. Si les choses continuent, on a alors formation d’un corium (magma très chaud) qui peut percer l’enceinte métallique de la cuve du réacteur ainsi que la couche de béton qui se trouve dessous.
Le risque suprême est d’atteindre la criticité, c’est-à-dire une température telle que les réactions de fission peuvent redémarrer.
D’après les informations données par l’IRSN, nous n’en sommes pas là. Même si la situation est toujours critique (les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 ont partiellement fondu) et que la présence d’eau fortement radioactive atteste que les réacteurs ne sont plus étanches. La remise en service des systèmes de refroidissement est plutôt le signe que la situation s’améliore. De l’eau borée (propriété d’absorber les neutrons et donc de stopper la réaction) est de plus injectée. Mais il faut évacuer des lieux toute l’eau contaminée qui s’y trouve et surtout la traiter avant rejet.
Beaucoup comparent cet accident grave à celui de Tchernobyl de 1986. Il n’est pourtant pas comparable dans la mesure où les réacteurs se sont arrêtés, où il n’y a pas eu d’incendie et où il y a une enceinte de confinement (qui même si elle n’est plus étanche permet de limiter les émissions). Cela reste néanmoins une situation très critique !
Pour en savoir plus
http://www.irsn.fr/FR/Documents/home.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_nucl%C3%A9aire
2 comments for “Quelques éclaircissements sur le nucléaire…”