De l’eau a coulé sous les ponts depuis mon dernier billet de blog… Enfouie sous une tonne de travail, j’ai malheureusement dû laisser de côté la lecture approfondie des derniers travaux scientifiques publiés dans Science, ma principale source d’information en direct des labos. Depuis toujours, je trouve dommage de lire sans garder trace ; je reprends donc le chemin de l’écriture et voici quelques petites notes afin de mieux retenir et partager.
Mon angle de lecture, pour rattraper un peu tout ce temps, c’est celui des animaux ! Leur intelligence, les menaces qui pèsent sur eux, les conséquences de leur cycle de vie… Il y a tellement à apprendre et à comprendre. Voici donc trois sujets, bien différents, mais qui mettent en lumière de récentes études autour de 3 familles animales.
L’intelligence animale, à quoi se mesure-t-elle ? On dit de nous, humains, que nous sommes intelligents ce qui se traduit par notre capacité à parler, à apprendre et à résoudre des problèmes complexes. Des scientifiques du centre de recherche de l’université américaine Rockefeller à New York (Laboratory of Neurogenetics of Language) ont publié des travaux relatifs à ces mêmes aptitudes mais chez 23 espèces d’oiseaux ! La capacité cognitive de plus de 200 individus (apprentissage, résolution d’un problème) ont été étudiées en laboratoire en les soumettant à des tests permettant d’évaluer leur comportement face à un problème. Lors des tests, les volatiles étaient privés de nourriture pendant une nuit et placés ensuite face à une tâche à accomplir (pousser, percer, tirer, ouvrir différents dispositifs) afin d’obtenir leur nourriture. Le nombre d’essais avant succès était noté. Pour évaluer les facultés d’apprentissage, les chercheurs se sont servis de tests de reconnaissance des couleurs : une couleur associée à une récompense.
Les résultats obtenus montrent un lien fort entre les espèces d’oiseaux avec le plus large répertoire vocal (chants et cris) et celles qui ont la plus grande facilité à résoudre un problème. Les chercheurs ont alors essayé de relier cette association à une variable biologique et il s’avère que la taille relative du cerveau collait très bien, même après ajustement des facteurs confondants. Les auteurs suggèrent alors une coévolution de ces trois traits sur la base d’une composante génétique et avancent l’hypothèse que l’augmentation de la taille du cerveau chez l’oiseau pourrait s’expliquer par un développement accru du système de neurones impliqué dans le chant et de ce qui lui est adjacent, un circuit moteur participant en partie à la résolution de problème…
Quittons les airs pour redescendre sur Terre.
Des cigales périodiques
Saviez-vous qu’il existait des espèces de cigales dont le cycle de vie était très long ? Les espèces dont on va parler ici (Magicicada tredecim et Magicicada septendecim) ont un stade larvaire qui dure respectivement 13 et 17 ans ! Les larves sont enfouies dans le sol, se nourrissent du xylème des racines d’arbres et à terme, elles éclosent toutes en même temps, ou presque, sur une période qui s’étend sur 5 à 6 semaines…
Premier effet Kiss Cool : au moment de l’arrivée « massive » des cigales, les oiseaux de toutes tailles en font un festin et se ruent sur cette nouvelle manne et délaissent leurs proies habituelles. Double effet Kiss Cool : les populations d’insectes herbivores sont alors épargnées et les feuilles de chênes en font les frais !
Les phénomènes d’émergence de masse peuvent fournir d’énormes quantités de ressources nutritives à des communautés entières. Mais parfois, les conséquences vont bien au-delà d’un simple effet direct. Malgré de nombreuses recherches sur la biologie, le comportement et l’évolution de ces insectes, l’impact écologique d’une telle émergence n’est pas vraiment compris. Même s’elle est assez abondamment observée, cette explosion de vie peut avoir des effets inattendus : introduire de la complexité dans les chaînes alimentaires, stabiliser leurs dynamiques ou altérer des interactions entre espèces en cascade…
Autre exemple assez connu ; la glandée du chêne : il s’agit une fructification abondante qui se produit certaines années, notamment dans les forêts nord américaines. Cette importante production est évidemment particulièrement bénéfique pour l’ensemble des petits mammifères qui se nourrissent des glands. Effet un peu inattendu de cette consommation : la recrudescence de bactéries pathogènes dont les mammifères sont les premiers réservoirs. Certaines sont responsables de la maladie de Lyme
Autre effet inattendu : la restructuration de la forêt. Lors d’une année de glandée, les graines des autres arbres sont finalement moins consommées et peuvent donc germer plus facilement, sans être emportées loin de l’arbre parent. Cela donne donc une suprématie à ces variétés-là !
Les auteurs de l’étude pensent que les écologistes devraient intégrer davantage ces phénomènes d’émergence massive car leurs effets peuvent se faire sentir sur le long terme. Pour les cigales, elles deviennent des ressources non seulement pour les oiseaux, mais aussi pour les charognards et les décomposeurs. Elles participent donc à l’apport de nutriments aux écosystèmes terrestres… Pour terminer, les larves de cigales creusent des tunnels dans le sol ce qui améliore l’aération du sol et l’infiltration d’eau, les plantes et organismes qui vivent dans les sols pourront également en tirer avantage !
Quoi de neuf du côté de la mer ?
Une étude américaine publiée en octobre met l’accent sur les conséquences des vagues de chaleur marines au niveau des populations de crabes et plus particulièrement le crabe des neiges (Chionoecetes opilio), espèce emblématique de la mer de Béring. Différents suivis de son développement sont régulièrement menés afin d’assurer une pêche durable. Malgré cette gestion, les populations se sont effondrées en 2021, phénomène d’autant plus préoccupant qu’il s’est produit après une période de forte abondance.
Quelle en est l’origine ? Est-ce dû à un déplacement des populations vers les plus grandes profondeurs ou vers d’autres zones ? Ou est-ce une réelle mortalité ? Et dans ce cas, comment l’expliquer ?
Les causes liées à des migrations ont toutes été éliminées. Les différentes origines de la mortalité ont alors été passées en revue et différentes modélisations ont permis de trancher : la cause première de la disparition du crabe des neiges en 2021 est l’augmentation des températures de l’eau. Une vague de chaleur en mer de Béring en 2018-2019 a été préjudiciable pour les juvéniles surtout qu’elle a été concomitante avec des niveaux records d’individus dans cette même période.
Et alors ? D’autres études ont montré que les besoins caloriques sont fonction de la température. Ils sont ainsi doublés quand l’eau se réchauffe de 0 à 3°C. Trois petits degrés c’est peu, mais l’impact est énorme ! Les juvéniles ne peuvent se développer normalement, ils sont plus petits et très nombreux, beaucoup ne résistent pas, car les ressources sont elles identiques !
Ainsi, face aux vagues de chaleur, la capacité des espèces reste une grande inconnue. Au vu de cette étude, il est probable que les communautés benthiques de l’est de la mer de Béring vont fortement souffrir et ce, dès maintenant ainsi que toutes les populations qui vivent de la pêche (durable) dans ces régions du monde.
Références
Audet J.N., Couture M., « Songbird species that display more-complex vocal learning are better problem-solvers and have larger brains », Science – Sep 2023 -Vol 381, Issue 6663, pp. 1170-1175
Getman-Pickering Z., Soltis G. et al., « Periodical cicadas disrupt trophic dynamics through community-level shifts in avian foraging », Science – Oct 2023 – Vol 382, Issue 6668, pp. 320-324
Szuwalski C. S., Aydin K. et al., « The collapse of eastern Bering Sea snow crab », Science – Oct 2023 – Vol 382, Issue 6668, pp. 306-310