Courant décembre 2021, j’ai eu l’occasion de participer à un événement à dimension scientifique et technique qui alliait l’agriculture et le spatial ! L’événement, c’était AgroSpace, ça se passait le 15 décembre, organisé par Agrotech, l’incubateur dédié à l’agriculture et les solutions du futur avec comme partenaires le Centre National des Etudes Spatiales (CNES), Euratechnologies et la ville de Willems.
Pour le public néophyte, ces deux domaines semblent pourtant se trouver aux antipodes l’un de l’autre : l’un profondément ancré dans la Terre et l’autre ayant pour objectif de scruter l’Espace. Mais quel est donc le rapport ? Ce précédent billet consacré à la culture de la Pomme de Terre avait déjà un peu évoqué ce sujet.
Le constat est le suivant : de plus en plus de contraintes pèsent sur le monde agricole. En voici quelques-unes parmi les principales :
– un monde qui va frôler les 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050 posant le défi de leur assurer les ressources alimentaires suffisantes,
– notre planète Terre subit d’ores et déjà les conséquences du changement climatique :
- l’augmentation des températures joue sur de nombreux paramètres du monde agricole (rendements modifiés et maladies liées aux invasions d’agresseurs) (j’avais évoqué tout cela dans cet article de Kidi’Science)
- l’augmentation de la fréquence des aléas de la météo (pluies, phénomènes extrêmes),
- l’augmentation des risques de stress hydrique et nécessité de protéger les ressources en eau !
– une biodiversité qui ne se porte pas très bien en divers endroits du globe, avec un risque sur les pollinisateurs, ces derniers jouant un rôle clé dans le développement de certaines cultures,
– la pression de certains médias et de la population qui pointent souvent du doigt les agriculteurs décriés comme étant extrêmement pollueurs,
– la 6e réforme de la PAC qui s’annonce cette année (2022) et va se focaliser sur une agriculture de précision
Il faut donc produire plus tout en limitant les impacts environnementaux : limiter les GES, diminuer les intrants, préserver la biodiversité, augmenter la fertilité des sols. L’Agriculture doit s’adapter de plus en plus (elle a déjà commencé), … bref jouer sur tous les tableaux le plus efficacement possible.
Mais ce sont des défis gigantesques à relever.
En un mot, il faut produire plus et mieux avec le minimum d’impacts sur les écosystèmes.
Et si les solutions venaient d’en haut ? De ces technologies qui nous aident au quotidien et dont nous ne soucions même plus tant ils sont ancrés dans nos habitudes …Oui, il s’agit bien des satellites.
Quels sont donc leurs atouts ?
Si on veut résumer cela en quatre mots, on pourrait dire : « observation », « données », « optimisation » et « sécurité »
Les satellites observent la Terre
Où ?
Les satellites orbitent autour de la Terre à plus de 20.000 kms et à cette distance-là, ils l’observent avec un niveau de détail assez bluffant. Ainsi en prenant de la hauteur, en fournissant des observations permanentes et précises, les satellites permettent de mieux voir et surtout de suivre l’évolution d’un paramètre.
Ils observent mais permettent aussi de transmettre des données, ce sont des outils fondamentaux de télécommunication. Enfin, ce sont également des outils de localisation, de navigation : ce qui peut s’avérer extrêmement utile pour guider automatiquement du matériel agricole (désherbage mécanique avec précision).
Quoi ? Qu’observent-ils ?
Les satellites sont une aide précieuse pour les champs mais aussi pour une évaluation au niveau des forêts, des pâturages, des ressources en eau.
En ce qui concerne l’observation et le suivi des parcelles agricoles, plusieurs paramètres peuvent être ciblés :
– le développement de la plante,
– l’humidité des sols,
– la biomasse,
– l’indice foliaire,
– la teneur en chlorophylle,
– le rendement.
Ce qu’on peut tirer de ces données
Le suivi précis (dans le temps et de façon différentiée sur les différentes zones du champ) permet alors une agriculture de précision afin de moduler les intrants, les apports en eau (quand irriguer et comment) et la consommation d’énergie (tout cela joue sur les émissions de GES et le réchauffement).
Comment ?
Les satellites observent la Terre à l’aide de capteurs reposant sur deux technologies : l’optique et la détection radar. Ces deux approches se complètent.
Les capteurs optiques sont sensibles à la lumière du Soleil réfléchie par les objets ciblés sur la Terre. Les images sont enregistrées dans le domaine visible mais aussi l’infrarouge. Le hic est que l’information est sensible à la couverture nuageuse !
Certains satellites sont équipés de capteurs RADAR ce qui permet d’observer la nuit ou même en présence de nuages. En effet, ces satellites émettent des ondes électromagnétiques à la surface du globe et mesurent la « réponse », la rétrodiffusion du signal. Selon les caractéristiques de l’onde incidente (la longueur d’onde 𝛌), les résultats et les niveaux de détails sont différents et il sera nécessaire d’interpréter les images recueillies par des modèles qui permettront alors d’obtenir des informations sur le type de surface, la teneur en humidité des sols, les matériaux.
Exemples de mission :
Sentinel-1 et Sentinel-2 sont des séries de satellites développés par ESA essentiellement tournés vers la surveillance environnementale. La première mise en orbite pour Sentinel-1 s’est faite en 2014. Equipés d’un système RADAR permettant de prendre des clichés en toutes circonstances, les engins de cette série ont pour mission le suivi de la banquise et de la glace en général, la surveillance maritime (marées noires, diffusion de pollutions, pêche illégale…), la cartographie des forêts, des sols…
Les satellites de Sentinel-2 fournissent des images optiques multispectrales à haute résolution relatives aux sols, aux écosystèmes, aux fleuves, aux côtes, à l’atmosphère… Ces images permettent de suivre l’évolution de la végétation, d’un événement naturel ou de mieux comprendre le changement climatique
La Mission Spot (Système Probatoire d’Observation de la Terre) est une série de satellites dédiés à la télédétection du sol Terrestre, un programme décidé en 1978 et réalisé par le CNES en collaboration avec la Belgique et la Suède. Actuellement, on en est à SPot7 lancé en 2014. Le satellite se situe à un peu plus de 800 km d’altitude et possède depuis la version Spot4 un capteur nommé « végétation »
La Mission SMOS (pour Soil Moisture & Ocean Salinity) est un satellite de l’ESA lancé en 2003 et comme son nom l’indique, il permet d’investiguer l’humidité des terres, la salinité des mers. Il est alors possible d’établir des cartes de salinité et de mesurer l’épaisseur de la couche de glace aux pôles. En ce qui concerne l’humidité des terres, la mesure est faite sur 3 jours sur les 5 premiers centimètres puis un algorithme permet ensuite d’estimer ce qui se passe dans la zone racinaire.
Son apport au monde agricole est précieux puisque la mission permet l’amélioration des connaissances sur la photosynthèse, et met en lien l’eau du sol et l’évolution de la plante. La prévision des événements extrêmes et le suivi de l’évolution des ressources en eau disponible sont améliorés. De façon plus précise encore, il est prévu de pouvoir prévoir les manques d’eau dans la zone racinaire.
Un peu plus proche de nous, la mission Venµs lancé en 2017 pour « Vegetation and Environment as a New Microsatellite », un projet franco-israélien (CNES/ASI). Placé à 750 km d’altitude, ce satellite permet de mieux suivre la croissance des cultures en vue d’une meilleure prévision des rendements, de la détection des stress et besoins des cultures. Les mesures précises qui sont recueillies sont fondamentales pour comprendre l’influence du climat sur la végétation, la variation du manteau neigeux et de mieux gérer les ressources naturelles.
Venµs est un système innovant en raison d’une haute résolution temporelle et spatiale.
La mission Trishna, collaboration entre la France et l’Inde, correspond à un nouveau type de satellite prévu pour être lancé en 2025, et sera équipé d’un instrument IRT (Infrarouge thermique). Son objectif est par exemple de suivre la température d’une plante en vue de détecter très précocement son stress hydrique ! Jusqu’ici pour le repérer, c’était la couleur « jaunie » de la feuille qui était le guide. Mais quand on en arrive à ce stade, c’est déjà trop tard. Avec l’IRT, l’augmentation de la température de la feuille sera repérée et elle est directement consécutive au manque d’eau dans la plante.
Voilà… Tout là-haut, les missions se succèdent pour mieux prendre soin de notre bonne vieille Terre.