La façon dont les espèces animales se sont adaptées aux contraintes de leur environnement touche de nombreux aspects de leur morphologie : le but étant bien sûr de tirer profit de leur habitat pour mieux se développer, se nourrir, échapper à leurs ennemis… en un mot rester en vie. La diversité touche les formes mais aussi les comportements, et le vol des papillons n’échappe pas à la règle. Jusqu’ici, on ne savait pas grand chose sur la façon dont cette évolution s’était faite. C’est pourquoi des chercheurs français (Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, Sorbonne Université, École Pratique des Hautes Etudes, Université des Antilles, Université Paris Descartes) et néerlandais (Wageningen University, Maritime Research Institute) ont collaboré pour tenter d’y voir un peu plus clair. Ils se sont donc intéressés à différentes espèces de papillons Morpho. Leur étude a été publiée récemment dans Science (30 Novembre 2021).
Ils enchantent les sens par ce bleu si intense, n’est-ce pas ? Il faut dire que le Morpho a un secret : cette couleur si intense vient de la combinaison d’un pigment et de la microstructure périodique sur plusieurs niveaux. Cet agencement diffuse la lumière de façon particulière, nous en avions parlé ICI dans ce précédent article dédié à la couleur bleue. Alors comment volent-ils ?
La diversité dans le vol chez les insectes vient à la fois des caractéristiques morphologiques (principalement les ailes), de leur adaptation comportementale face à leur environnement (paysage, micro-climat) et de leur mode de vie (migration ou non). Cette diversité assure un vol le plus efficace possible tant au niveau de la vitesse que de la manœuvrabilité et l’efficacité énergétique.
Quid des papillons ?
Ces insectes sont les seuls qui adoptent à la fois un vol battu et plané : ils alternent entre les deux techniques selon les contraintes de leur environnement de façon à optimiser leurs efforts.
Oui mais comment ?
Particularité pour les espèces Morpho
Au sein même de ce genre, les techniques de vol sont très variables étant données les divers milieux dans lesquels évoluent les espèces : plus de vol battu chez les uns que chez les autres…Oui mais lesquels et quels sont les éléments qui expliquent cette diversité ?
De l’importance de la forme des ailes
Il est intéressant de comprendre comment la forme des ailes peu jouer sur l’efficacité du battement d’aile ou sur la dépense énergétique lors du vol plané.
De l’importance de l’habitat
Beaucoup de paramètres peuvent jouer au sein des forêts tropicales et influencer le vol des papillons : ces conditions ne sont donc évidemment pas les mêmes si l’espèce a investi les sous-bois ou la canopée (strate supérieure de la forêt, moins dense en branches) : les paramètres comme température, vent, humidité, lumière ne sont pas identiques. Tout cela va influer sur la chaleur dont les lépidoptères pourront bénéficier pour assurer leur métabolisme, facteur indispensable pour de tels animaux à sang froid : lorsque qu’il fait chaud, l’insecte peut se permettre de battre des ailes avec une fréquence plus élevée.
Mais comment tout cela s’articule-t-il ?
Les auteurs de l’étude [1] se sont penchés sur une douzaine d’espèces du genre Morpho présents en Amazonie péruvienne.
En analysant des enregistrements vidéo de près de 80 individus volant en pleine nature (représentatifs de 4 espèces du milieu des sous-bois et 3 espèces de la canopée) et en complétant par l’étude plus fine du mouvement 3D d’autres Morpho volant en insectarium géant (représentatifs de 8 espèces du milieu des sous-bois et 3 espèces de la canopée) et de la modélisation, il a pu être mis en évidence :
– un type de vol complètement différent entre les espèces du canopée et celles du sous-bois ne pouvant pas s’expliquer uniquement par la diversité phylogénétique.
– un vol plus lent avec un usage plus marqué du vol plané pour les espèces de la canopée ; un vol plus rapide lié à un battement d’ailes plus puissant pour les espèces en sous-bois.
L’étude de la morphologie a par ailleurs montré que des ailes plus rondes rendaient le vol battu plus efficace. En ce qui concerne le vol plané, des ailes longues et étroites sont plus efficaces d’un point de vue aérodynamique que des ailes courtes et larges. En effet, avec des ailes longues, les forces de traînée sont moindres ce qui permet un gain en énergie dépensée.
Conclusion :
L’étude montre que la sélection naturelle induite par les deux types d’habitats distincts a à la fois joué sur la forme des ailes et le type de vol. Dans un milieu dense bourré d’obstacles tel que les sous-bois qui nécessite un vol rapide avec des changements de direction, les ailes sont courtes et le vol battu tandis que dans un milieu plus ouvert (canopée) le vol est plus lent et plané. On a donc encore un bel exemple sous les yeux de la théorie de l’évolution induite par l’environnement.
Références :
1- Le Roy C, Amadori, D., Charberet, S., Windt, J., Muijres, F. T., Llaurens, V., Debat, V., « Adaptative evolution of flight in Morpho butterflies », Science 374, pp 1158-1162 (2021).
2- Mena S, Kozak KM, Cárdenas RE, Checa MF., « Forest stratification shapes allometry and flight morphology of tropical butterflies », Proc. R. Soc.B 287: 20201071. (2020) http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2020.1071