J’avais déjà abordé ce sujet dans un précédent billet où il était question des changements « durables » dans le cerveau maternel, changements liés à la grossesse. Ces modifications impliquent par exemple, une diminution marquée et durable du volume de la substance grise dans le cerveau et cette réduction conduirait une meilleure efficacité cérébrale pour une qualité de soin optimale de la mère vers son enfant. Si vous voulez en savoir plus, c’est à lire ou relire ICI. Bref, plutôt un changement positif mis en lumière par les recherches.
Non, là, je voulais vous parler du ressenti des mères elles-mêmes (et parfois de leur entourage) pendant leur grossesse. En effet, de nombreuses futures mères constatent des changements plutôt handicapants et évoquent une moindre performance cognitive durant leur grossesse. Ceci n’est pas sans engendrer plusieurs conséquences désagréables dans la vie quotidienne, personnelle ou professionnelle. Ainsi les mamans ont remarqué des problèmes d’attention, de concentration, de mémorisation, de désorientation, de ralentissement des fonctions cognitives, d’oublis mais également parfois des difficultés de coordination motrice. Est-ce que ces impressions reposent sur quelque chose de bien réel ? Est-ce lié au remodelage de la matière grise dont nous avions parlé dans le billet précédent ?
Beaucoup de recherches se sont donc axées sur ce sujet, en cherchant à trancher la question. Malheureusement, beaucoup de résultats contradictoires ont été obtenus.
Une étude récente (Janvier 2018) publiée par une équipe australienne a cherché à faire le point par le biais d’une méta-analyse rigoureuse prenant en compte un maximum d’études correctement menées.
Les auteurs ont cherché à observer si la grossesse pouvait influer sur la mémoire, la performance cognitive en général, les fonctions exécutives ou l’attention et si on pouvait mettre en évidence à quelle période de la grossesse ces changements se mettaient en place.
Après une sélection sérieuse des études menées sur le sujet, les auteurs en ont gardé une vingtaine et ont comparé les résultats de performance cognitive entre un groupe de femmes enceintes adultes et en bonne santé (âge minimal 18 ans pour les futures mamans) et un groupe de contrôle constitués de femmes non enceintes. Toutes les publications retenues ont été publiées dans un journal à comité de lecture, et les études incluaient une analyse statistique convenable et à minima une mesure objective répondant à un standard de la fonction cognitive. Bref l’ensemble des publications entrant dans les critères de sélection a permis de comparer les résultats sur une population de 709 femmes enceintes pour 521 dans le groupe de contrôle.
Quels résultats ?
En ce qui concerne le fonctionnement général cognitif qui correspond à une série de processus incluant la mémoire, l’attention, la vitesse de traitement de l’information, la capacité verbale et l’orientation spatiale il s’avère que les résultats sont effectivement plus défavorables (DMS=0,52)* du côté des futures mamans. Il n’y a pas de différences notables pour le 1e ou 2e trimestre de grossesse. La modification est donc plus observable à partir du 3e trimestre.
* Résultat présenté sous forme de différence moyenne standardisée (DMS) variable qui permet de tenir compte des différents résultats d’études qui n’ont pas forcément réalisé les mêmes types de mesures. Une valeur de DMS nulle correspond à aucune différence. Une DMS compris entre 0,3 et 0,8 correspond à un effet modéré. Plus l’effet est significatif, plus cette valeur est proche de 1.
En ce qui concerne la mémoire, la performance globale est également significativement plus basse chez les femmes enceintes (DMS=0,48) et encore une fois, surtout marquée au 3e trimestre (DMS=1,47).
Conclusion :
Les résultats sont là : la diminution de performance cognitive notamment pendant 3e trimestre de grossesse est bien réelle mais les auteurs affirment qu’ils doivent être interprétés avec prudence. Certains paramètres ont pu être contrôlés (comme l’âge des mamans qui ne s’avère pas être un facteur significatif) mais d’autres tels que l’éducation de la mère, la parité, le QI avant la grossesse ou le statut socio-économique) n’ont pu être explorés par manque de données.
La force de cette méta-analyse réside néanmoins dans la forte taille de l’échantillon (supérieure à celle des méta_analyses antérieures).
Les auteurs font le lien entre cette perte de mémoire et la réduction du volume de matière grise observée dans le cerveau des mères. Ils sont néanmoins dubitatifs pour l’instant pour répondre à la question du pourquoi et de la durée de ces effets.
Personnellement, j’aime à croire qu’il s’agit là d’une réorganisation, d’une phase de maturation et de spécialisation du cerveau maternel en vue de mieux accueillir le futur enfant (cf ce billet).
Et vous les mamans, avez vous remarqué quelque chose de particulier lors de vos grossesses ? Les choses se sont-elles arrangées après la naissance? En ce qui me concerne, j’ai surtout noté un déficit dans la coordination de mes mouvements : tout m’échappait des mains ! Heureusement, ça n’a pas duré.
Note : Cet article fait partie des sujets abordés, de façon romancée, dans mon livre « Le Monde et Nous »
Référénce :
Sasha J Davies, Jarrad AG Lum, Helen Skouteris, Linda K Byrne and Melissa J Hayden, « Cognitive Impairment during Pregnancy : a meta-analysis », Med J Aust, 2018; 208 (1): 35-40. || doi: 10.5694/mja17.00131
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