[Femmes en science]#1_Emilie du Châtelet

J’inaugure ce jour, une nouvelle rubrique sur le blog, consacrée aux femmes, de tous horizons, de toutes époques. Des femmes connues ou non, qui méritent qu’on leur consacre quelques modestes lignes pour leurs travaux en sciences soit par leurs propres recherches, soit plus indirectement en favorisant par exemple la diffusion des connaissances dévoilées par leurs contemporains.
Deux raisons me motivent. Très souvent, trop souvent, les femmes ont dû (et doivent encore) se battre (parfois contre vents et marées) pour étudier ou pour ensuite être reconnues comme expertes dans un domaine technique ou scientifique.
Et puis, je vois encore beaucoup de jeunes filles démotivées par les carrières scientifiques, doutant de leurs capacités.
Il faut changer cette image… C’est en cours et heureusement.
En publiant ces quelques portraits mettant en avant la valeur scientifique des femmes, je souhaite apporter ma contribution pour valoriser leur travail et leur pugnacité car elles sont aventurières, hors pair, passionnées et passionnantes. C’est enfin une façon pour moi de découvrir de nouvelles figures, d’anciens ou nouveaux travaux, de plonger dans l’Histoire… et de partager.

Bref, pour ce premier exercice, intéressons-nous à Emilie du Châtelet (née Emilie de Breteuil), femme française de Sciences dans le domaine des Mathématiques et de la Physique, du XVIIIe (1709-1749). Elle s’ouvre aux Sciences en plein siècle des lumières : un siècle où le maître mot est « la promotion » des connaissances. Ayant reçu une éducation riche dans de nombreux domaines (latin, mathématiques, arts, langues étrangères), évoluant dans un milieu culturel stimulant, elle se passionne pour les travaux de Newton et devient une « femme des Lumières ». A ce titre, Emilie du Châtelet a joué un rôle majeur dans la diffusion des Savoirs, elle a voué sa vie aux Sciences en promouvant le travail de ses contemporains scientifiques mais pas seulement. Elle avait acquis un niveau d’expertise tel qu’elle a pu se permettre de critiquer, de façon fort juste, les théories qu’elle mettait en lumière.

Emilie du Châtelet, tableau de Quentin de la Tour

Elle est contemporaine de grands noms du monde scientifique, qui ont marqué profondément les bases des Sciences exactes :
Daniel Bernoulli (1700-1782) : médecin, mathématicien et physicien suisse, un grand Homme qui a posé les bases de la Mécanique des Fluides et de l’hydrodynamique (une accélération d’un fluide s’accompagne d’une baisse de pression),
Leonhard Euler (1707-1783), mathématicien et physicien suisse qui a travaillé sur le calcul intégral, s’est notamment fait remarquer pour avoir révolutionné (ou modernisé) le langage mathématique en créant la notation fonction « f(x) », le signe somme Σ, la notation du nombre π, et bien d’autres choses sympathiques du monde mathématique (le nombre imaginaire « i », la base e du logarithme, le développement en séries…),
René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757), physicien, naturaliste, fasciné par les propriétés du fil d’Araignée et qui est très connu pour ses travaux sur la mesure de la température. Il a aussi beaucoup étudié les matériaux,
Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759), philosophe, mathématicien, physicien, naturaliste… et grand admirateur de Newton (1642-1727) scientifique Anglais qui jette les bases de la mécanique classique, et la gravitation universelle.

Bref, elle côtoie ces illustres personnages, et se forme en Sciences Physiques (cette discipline portait alors le nom de « Philosophie Naturelle ») en étudiant Leibniz (1646-1716). Elle n’hésite pas à troquer ses jolies robes pour des vêtements masculins afin de pouvoir participer aux réunions de l’Académie des Sciences. Sa rencontre avec Voltaire, dont elle devient la maîtresse, est décisive pour la suite de sa carrière : il la pousse à s’intéresser aux travaux de Newton, et à diffuser son oeuvre de façon élargie.

L’énorme travail qui marque la vie Emilie du Châtelet concerne la traduction de l’oeuvre maîtresse de Newton « Philosophiae naturalis principia mathematica » (publié en 1687) contenant les lois du Mouvement et de l’Attraction Universelle. Le travail de Mme du Châtelet (1745) va bien au-delà du « simple » passage du latin au français car elle décortique l’ouvrage de A à Z et y relève des inexactitudes ou des résultats qui ne s’avèrent être que des hypothèses.

D’un point de vue formel tout d’abord, elle profite de cette traduction pour y introduire le nouveau langage mathématique qui a vu le jour (notamment avec la formalisation et les notations d’Euler et de Leibniz telles que le calcul différentiel et intégral). Cela allège beaucoup le discours de Newton « très chargé » en constructions géométriques et permet donc de mieux en saisir le sens.

Mais son analyse va plus loin. En cherchant à traduire l’oeuvre de Newton, elle refait elle-même les calculs, soulève un certain nombre d’objections et s’interroge sur certaines explications avancées par le grand Homme. En particulier, elle remet en cause certains résultats de Newton relatifs au phénomène de précession des équinoxes (le fait que la direction de l’axe de rotation de la Terre varie). A ce sujet, elle remet en question l’approche de Newton, et souligne l’importance de la précision des mesures qui nécessitent des durées d’observation beaucoup plus longues que celles qui ont été menées.

La précession des équinoxes est la variation de l’inclinaison de la Terre.

Enfin, ne passons pas sous silence, les écrits propres de Mme du Châtelet tels que sa Dissertation sur la nature du feu (1737) où elle répond à un concours de l’Académie des sciences et présente les connaissances sur le sujet. Elle ne remporte pas le concours mais néanmoins, son travail est publié : signe de la reconnaissance que lui octroie la communauté scientifique de son temps.

Mais l’approche des Sciences de Mme de Châtelet n’est pas que théorique. Elle expérimente aussi beaucoup dans son château de Cirey en Haute-Marne : un vrai laboratoire y est installé avec des télescopes, du matériel de chimie … C’est ce qui lui a permis de décortiquer la notion de « force motrice » des corps et nous lui devons l’expression de l’énergie cinétique d’un corps, comme étant liée à la masse et la vitesse au carré (et non le produit de la masse et de la vitesse simple). C’est d’ailleurs en travaillant sur cette thématique qu’elle s’est trouvée au cœur d’une controverse scientifique de grande ampleur puisqu’elle remet en cause l’approche faite par un membre de l’Académie des Sciences. Elle rassemble le fruit de ses expériences et de l’analyse qui en découle dans son ouvrage  » Institutions de physique »  publié en 1740 dont Koenig (mathématicien allemand) essaie de s’en déclarer l’auteur. C’est Madame de Châtelet qui a raison : l’énergie cinétique est bien proportionnelle au carré de la vitesse, comme tout le monde le sait désormais !

Bref, une chouette histoire à connaître et à partager ! Une éducation « riche » pour les filles, ça aide. Mais la force d’Emilie au-delà de ses brillantes capacités intellectuelles est d’avoir suivi jusqu’au bout ses passions, d’avoir su aller au-delà des obstacles et de braver les interdits de la Société. Et ça valait drôlement le coup !

Pour en savoir plus :
https://histoire-cnrs.revues.org/7752

Cliquer pour accéder à fiche_2.pdf


E. Badinter lui a consacré plusieurs ouvrages (« Les passions d’Émilie: La marquise du Châtelet, une femme d’exception », « Madame du Châtelet, Madame d’Epinay : Ou l’Ambition féminine au XVIIIe siècle »)

2 comments for “[Femmes en science]#1_Emilie du Châtelet

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.