Dans les méandres de la recherche [#3 rencontre chercheur(se)]

Vous voulez en savoir un peu plus sur la schizophrénie ? Alors suivez-moi, nous allons chercher l’information directement au cœur des labos.
Souvenez-vous nous avions commencé l’année 2017 par le lancement d’une nouvelle rubrique intitulée « Portrait de chercheur« , rassemblant des interviews d’hommes et de femmes impliquées dans la recherche ou des reportages suite à des rencontres IRL. Relire le premier portrait ICI.
Le but est de contribuer aux efforts de valorisation du travail des scientifiques dans les labos et institutions qui cherchent à percer les secrets du Monde, de la Nature, de l’Homme afin de développer (à plus ou moins long terme) des thérapies, de concevoir des technologies, des procédés ou de résoudre des grands problèmes de société.

J’aimerais encore une fois mettre à l’honneur une femme, une jeune chercheuse au Laboratoire Imagerie et Stratégies Thérapeutiques des Schizophrénies à l’Université de Caen : Elise Leroux.

Elise, depuis quand occupes-tu ton poste actuel ? 

J’ai intégré ce labo en janvier 2012.

Peux-tu nous définir ce qu’est la schizophrénie ? Comment cela se manifeste-t-il ?

De manière simple, la schizophrénie est une pathologie psychiatrique chronique et sévère qui peut prendre des formes symptomatiques multiples (on parle « des schizophrénies »). Elle touche environ 1% de la population mondiale indépendamment du pays, de la culture et du sexe. La pathologie touche préférentiellement les jeunes puisque les troubles débutent entre 15 et 30 ans pour évoluer sur la vie entière. Les schizophrénies se manifestent, par diverses symptômes (qui peuvent être présents seuls ou avec d’autres) tels que :

  • des symptômes dits « positifs » comme les idées délirantes (perte de contact avec la réalité) ou les hallucinations qui sont le plus souvent auditives et parfois visuelles,
  • des symptômes dits « négatifs » caractérisés par un manque de motivation, un repli sur soi et un isolement social, une diminution des capacités à penser, parler et agir, une diminution des réactions émotionnelles et une perte des capacités à éprouver ou à anticiper toute forme de plaisir,
  • la désorganisation du discours (discordance des associations entre idées, émotions et attitudes) ou du comportement (perte des comportements dirigés par un but) .
  • des altérations cognitives autrement dits des troubles de la mémoire, des difficultés attentionnelles et de planification des actions qui affectent plus de 80% des patients et responsables d’un handicap fonctionnel majeur.

Quels sont les grands axes de recherche de ton équipe ?

Depuis mon intégration au sein de l’équipe « Imagerie et Stratégies thérapeutiques des Schizophrénies » (ISTS) du Pr. Sonia Dollfus,  les travaux du laboratoire se sont portés sur l’étude des bases neurales des dysfonctionnements cognitifs de la schizophrénie (SZ) avec le souci de mieux comprendre la physiopathologie de cette affection mentale, d’en améliorer les traitements et de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Nos travaux s’articulent autour de 2 axes :
– l’un physiopathologique s’appuyant sur l’imagerie cérébrale,
– l’autre thérapeutique avec la stimulation transcrânienne magnétique.

Peux-tu nous parler de ta recherche ? Sur quoi travailles-tu exactement ?

Concernant l’axe physiopathologique, mes travaux ont permis d’évaluer l’anatomie cérébrale du langage en lien avec son réseau fonctionnel. Cela s’inscrit dans la continuité de travaux précédents qui étudiaient le réseau fonctionnel du langage et sa latéralisation hémisphérique pour le langage dans la SZ. Ces travaux précédents, réalisés en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ont globalement révélé l’existence d’une réduction de la latéralisation hémisphérique gauche pour le langage chez les patients souffrant de SZ (Dollfus et al., 2005) ainsi que son caractère stable au cours de la maladie (Razafimandimby et al., 2007) renforçant l’hypothèse que la SZ est caractérisée par une organisation spécifique du langage.

Et vous avez donc cherché à aller plus loin dans la compréhension de ces résultats ?

Partant de ces résultats, plusieurs de nos travaux ont permis de répondre aux questions suivantes :

  • Cette réduction de la latéralisation fonctionnelle est-elle spécifique de la SZ et pourrait-elle être un marqueur de la maladie ?
  • Cette réduction de la latéralisation fonctionnelle est-elle sous-tendue par une réduction de la substance grise (SG) ?
  • Ce déficit fonctionnel dans le réseau du langage est-il sous-tendu par une rupture des fibres au sein de la substance blanche (SB) ?
  • Cette réduction de la latéralisation fonctionnelle est-elle aussi liée à un manque de connections au niveau du corps calleux ?

Et donc, comment vous y êtes-vous pris pour trouver les réponses ?

En ce qui concerne les problèmes de latéralisation fonctionnelle comme possible marqueur de la maladie, des acquisitions fonctionnelles ont été réalisées en utilisant une tâche de langage simple d’écoute d’une histoire en français alternée avec du tamoul (langue parlée notamment dans l’Inde du sud et inconnue des participants) permettant de mettre en évidence le réseau de compréhension du langage. Egalement, des acquisitions anatomiques et de diffusion ont été menées permettant d’extraire respectivement le volume de SG et d’étudier l’intégrité de la substance blanche (comme le nombre de fibres et leur degré de myélinisation) ainsi que les faisceaux de fibres blanches (les axones des neurones).

Et alors ? Quels résultats ?

Une de nos études a effectivement permis de démontrer que cette réduction de la latéralisation fonctionnelle gauche n’était présente que chez les patients SZ (Alary et al., 2013b). A travers ce travail, nous avons montré pour la première fois que la latéralisation fonctionnelle gauche pour le langage était significativement réduite chez les patients SZ comparativement aux patients bipolaires (BP) et aux participants sains et que les BP ne se distinguaient pas des participants sains, suggérant que cette réduction de la latéralisation peut être spécifique de la SZ.

Et pour le rôle de la substance grise ?

Nous avons dû mener plusieurs études avec différentes méthodologies et nous avons pu montrer que que des modifications de SG ne sont pas à l’origine de cette réduction de latéralisation fonctionnelle du langage chez les patients SZ (Royer et al., 2015). Par conséquent, d’autres causes devaient être recherchées, notamment une modification de la connectivité structurelle de la substance blanche (les axones des neurones).

Donc on regarde du côté de la substance blanche ?

Des anomalies (volume et intégrité) de la substance blanche (SB) ont également été rapportées dans la SZ. Néanmoins, peu d’études se sont penchées sur les relations anatomo-fonctionnelles au sein du réseau de compréhension du langage.
Nous avons alors émis l’hypothèse que les anomalies de la SB pourraient être à l’origine d’un déficit fonctionnel dans le réseau du langage. En effet, le résultat d’une de mes études était que les patients SZ, comparativement aux participants sains, présentaient un déficit fonctionnel dans le réseau du langage associé à des altérations d’intégrité de la SB sous-jacente à ce réseau, suggérant que la perte d’intégrité de la SB pourrait être une des causes des déficits fonctionnels observés dans le réseau du langage chez les patients SZ (Leroux et al., 2013).
Une autre étude a permis de montrer que l’altération de l’intégrité des axones impliquée dans le langage pourrait être à l’origine du déficit fonctionnel observé dans le réseau de compréhension de cette pathologie.

Bref ces travaux étayent l’existence d’une altération de la connectivité anatomique qui peut être à l’origine d’une perturbation fonctionnelle au sein de l’hémisphère gauche (c’est-à-dire au niveau intrahémisphérique), la question sur la connectivité interhémisphérique et son impact sur la latéralisation fonctionnelle restait ouverte.

Et du côté du corps calleux ?
Il a été suggéré que le degré de spécialisation hémisphérique dépendait de la connexion structurelle entre les deux hémisphères, à savoir ce qui se passe au niveau du corps calleux. Nous avons donc regardé de ce côté-là également.

Peux tu nous en dire plus sur les hallucinations ? 

Les hallucinations auditivo-verbales (HAV) représentent le symptôme cœur le plus fréquent et handicapant observé chez les patients SZ. Ainsi, découvrir  quels biomarqueurs structuraux seraient spécifiques à ce symptôme est d’une importance clé dans la compréhension physiopathologique de cette pathologie.

Le but de l’étude que nous avons menée, était ainsi d’évaluer si des anomalies d’intégrité des faisceaux (axones des neurones) impliqués dans le langage pouvaient être une des causes des HAV présentent chez les patients SZ (Leroux et al., 2016). Pour cela, nous avons comparé les faisceaux intra- et interhémisphériques du langage de patients avec et sans HAV et ceux de participants sains. Nos résultats ont révélé la présence d’anomalies d’intégrité des faisceaux intrahémisphériques (faisceaux fronto-temporaux gauches) à la fois chez les patients avec et sans HAV, suggérant que des altérations de ces faisceaux soient plutôt spécifiques à la maladie en tant que telle, alors que seul les patients avec HAV (patients ayant eu des HAV au cours de leur vie) présentaient une perte d’intégrité du faisceau interhémisphérique (fibres callosales), suggérant que ce faisceau puisse être impliqué dans la survenue de ce symptôme chez les patients SZ prédisposés.

 En conclusion, l’expertise de ton équipe a faire sacrément progressé les connaissances sur le sujet  ? 

               En effet, et face à de tels résultats, nous développons actuellement un nouveau projet basé sur une approche thérapeutique non-pharmacologique dans le but d’améliorer, d’une part, la qualité de vie des patients et, d’autre part, contrecarré l’ensemble des effets délétères que nous avons révélé à travers nos différents travaux. Ainsi, grâce à l’expertise de notre équipe ISTS dans le domaine de la schizophrénie et grâce à celle d’une équipe de recherche dans le domaine de l’activité physique adaptée (laboratoire Comète UMR-S 1075) ainsi que celles de 3 entreprises privées dans le domaine du coaching adapté à distance (V@si), de capteurs physiologiques (BodyCap) et d’intégration informatique de données complexes (Ob’do), notre nouveau projet vise à démontrer l’efficacité de l’activité physique adaptée sur les déficits cognitifs et la plasticité cérébrale chez des patients SZ.
En effet, il a été démontré dans la littérature que l’activité physique adaptée était susceptible d’augmenter la plasticité cérébrale, de moduler les rythmes biologiques, telle qu’une amélioration du cycle veille/sommeil, et également d’agir sur la variabilité de la fréquence cardiaque, toutes ces fonctions étant perturbées chez les patients SZ.

Un chouette travail en perspective qui pourrait bien déboucher sur des recommandations … passionnant !
Un grand merci Elise et une belle route à toi !

Références :

Alary,M., Delcroix,N., Leroux,E., Razafimandimby,A., Brazo,P., Delamillieure,P. and Dollfus,S., 2013a. Functional hemispheric lateralization for language in patients with schizophrenia. Schizophr Res. 149, 42-47.

Alary,M., Razafimandimby,A., Delcroix,N., Leroux,E., Delamillieure,P., Brazo,P. and Dollfus,S., 2013b. Reduced functional cerebral lateralization: a biomarker of schizophrenia? Bipolar Disord. 15, 449-451.

Dollfus,S., Razafimandimby,A., Delamillieure,P., Brazo,P., Joliot,M., Mazoyer,B. and Tzourio-Mazoyer,N., 2005. Atypical hemispheric specialization for language in right-handed schizophrenia patients. Biol Psychiatry. 57, 1020-1028.

Leroux,E., Delcroix,N., Alary,M., Razafimandimby,A., Brazo,P., Delamillieure,P. and Dollfus,S., 2013. Functional and white matter abnormalities in the language network in patients with schizophrenia: a combined study with diffusion tensor imaging and functional magnetic resonance imaging. Schizophr Res. 150, 93-100.

Leroux,E., Delcroix,N. and Dollfus,S., 2014. Left fronto-temporal dysconnectivity within the language network in schizophrenia: an fMRI and DTI study. Psychiatry Res. 223, 261-267.

Leroux,E., Delcroix,N. and Dollfus,S., 2015. Left-hemisphere lateralization for language and interhemispheric fiber tracking in patients with schizophrenia. Schizophr Res. 165, 30-37.

Leroux,E., Delcroix,N. and Dollfus,S., 2016. Abnormalities of language pathways in schizophrenia patients with and without a lifetime history of auditory verbal hallucinations: a DTI-based tractography study. World J Biol Psychiatry. 1-32.

Razafimandimby,A., Maiza,O., Herve,P.Y., Lecardeur,L., Delamillieure,P., Brazo,P., Mazoyer,B., Tzourio-Mazoyer,N. and Dollfus,S., 2007. Stability of functional language lateralization over time in schizophrenia patients. Schizophr Res. 94, 197-206.

Royer,C., Delcroix,N., Leroux,E., Alary,M., Razafimandimby,A., Brazo,P., Delamillieure,P. and Dollfus,S., 2015. Functional and structural brain asymmetries in patients with schizophrenia and bipolar disorders. Schizophr Res. 161, 210-214.

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