Le raisonnement logique chez les bébés

Le raisonnement logique, c’est-à-dire la capacité à relier entre elles des informations et d’en tirer des conclusions de façon à répondre à une problématique, est une spécificité de l’espèce humaine. Mais comment se met-il en place ? Est-il inné, en existant depuis la naissance de façon « pré-câblée » (nos chers petits sont-ils tous des petits scientifiques en herbe) ou est-il nécessaire d’acquérir une certaine expérience afin de forger cette capacité ? Certaines théories ont soutenu cette dernière approche, en postulant que la logique était acquise lors d’un long processus de développement qui s’étend de la naissance à l’adolescence.

Faut-il attendre tout ce temps pour être vraiment opérationnel ? En tous cas, il est généralement admis que la maîtrise du langage est une condition sine qua non pour acquérir la logique, car le développement cognitif est alors tel qu’il permet des représentations logiques : bref, avant de pouvoir s’exprimer correctement, les enfants ne seraient pas équipés pour le raisonnement logique.

Mais bon, si vous êtes parent, vous avez sûrement pu constater de près que les enfants, même petits, parviennent assez bien, ne serait-ce que dans le cadre de leurs jeux, à résoudre des problèmes nécessitant de la logique.
Une équipe espagnole, hongroise et polonaise autour de Nicolo Cesana Arlotti (Center for Brain and Cognition à Barcelone) s’est penchée sur cette question en observant le comportement d’enfants âgés de 12 et 18 mois, ne maîtrisant pas encore la langue parlée mais en phase de mise en place du langage.

Le défi à relever n’est pas simple. Quel protocole mettre en place pour avoir accès à ce que l’enfant pense, et les mécanismes cognitifs qui sont à l’oeuvre ?
L’équipe a réalisé l’étude en présentant à une cinquantaine d’enfants ( une moitié âgée de 12 mois, l’autre moitié de 18 mois)  deux objets A et B, différents en forme, texture, couleur, catégorie mais dont la partie supérieure des objets était similaire.

Deux objets différents mais présentant une similarité de la partie supérieure.

Le test a alors consisté à montrer les deux objets puis à les cacher :
– l’un (objet A) derrière un rideau,
– l’autre (objet B) placé dans une tasse (la partie supérieure reste néanmoins visible).

Un des objets est caché derrière un rideau

L’autre objet est caché dans une tasse mais la partie supérieure (commune aux deux objets) est visible

L’épreuve-test est alors lancée : le rideau s’abaisse et révèle l’objet caché.
L’enfant, s’il en est capable, en est à l’étape où il va en déduire, par raisonnement, quel objet se cache dans la tasse.

Pour le savoir, le test continue. L’objet révélé derrière le rideau (objet A) est alors retiré de la vue des enfants, et l’objet caché sous la tasse (logiquement l’objet B) leur est montré.
Deux cas de figure :
– soit il s’agit bien de l’objet B,
– soit c’est l’objet A : dans ce cas de figure, il y a donc incohérence entre la réalité et ce à quoi la déduction logique mène.

D’autres expériences du même type ont ensuite été menées, en changeant le protocole, mais grosso modo sur le même principe : on laisse l’enfant observer puis « raisonner », et la situation finale est soit logique soit incohérente.

Les différentes situations ont toutes été élaborées pour contrôler si d’autres explications qui ne reposent pas sur un raisonnement logique sont possibles.

Qu’ont observé les équipes ?
Lorsqu’il y a incohérence, les enfants à la fois de 12 et 18 mois, observent beaucoup plus longuement l’objet apparu deux fois de suite (derrière le rideau et dans la tasse).
Une mesure de la dilatation de la pupille a également été réalisée  :
– pendant certaines de ces expériences, notamment pendant les phases censées être consacrées au raisonnement logique chez l’enfant,
– dans d’autres expériences mais ne nécessitant pas d’étape d’inférence.

Il s’avère que la pupille s’est plus dilatée lorsque l’expérience nécessitait un raisonnement logique ce qui suggère une augmentation de l’activité cognitive pendant cette étape de raisonnement. Les auteurs en déduisent aussi que ce lien observé avec la dilatation pupille ne s’explique pas uniquement par un phénomène de mémorisation mais bien par une activité cognitive de raisonnement.

Conclusion :
Des marqueurs spécifiques (ici la mesure de la dilatation de la pupille de l’œil des bébés) permettent bien de mettre en évidence des processus cognitifs et de suivre le déroulement d’un raisonnement.
Cette étude, même si elle doit être reproduite et nécessite des compléments, montre que la mise en place d’un raisonnement logique chez l’enfant se fait indépendamment du langage.Des structures logiques intuitives pour interpréter des scènes dynamiques, sont à priori une caractéristique de l’esprit humain.

Référence :

Cesana-Arlotti N., et al., « Precursors of logical reasoning in preverbal human infants », Science, Vol 359, 1263–1266 (2018)

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