La grossesse et les changements de la structure cérébrale

Comme vous l’avez peut-être remarqué, comprendre le cerveau et la façon dont il fonctionne m’intéresse beaucoup. Même si ce n’est que dans les grandes lignes (il faut avouer que c’est bigrement compliqué), ça vaut le coup de s’y pencher parce que d’une part c’est passionnant et que d’autre part, cela peut nous aider pour mieux appréhender au quotidien des réactions, des ressentis, des comportements (les nôtres et celle de autres).
Et puis mon statut de mère me pousse à fouiller la littérature scientifique sur tout ce qui est lié à la grossesse et au développement des enfants. Alors aujourd’hui, je fais d’une pierre, deux coups avec la présentation-synthèse d’un article publié en décembre dernier dans « Nature neuroscience » par des équipes espagnoles et néerlandaises qui s’intéressent aux changements « durables » dans le cerveau maternel, changements liés à la grossesse. Focus sur le cerveau de la future maman ! [Quant au cerveau des pères, on en avait déjà parlé ICI].

Nul besoin de rappeler qu’il se passe énormément de choses au niveau hormonal (une multiplication du taux de progestérone d’un facteur 10 à 15 par exemple) mais peu de travaux ont été consacrés aux effets de la grossesse et de tels niveaux hormonaux sur le cerveau. Un augmentation de taille de la glande pituitaire avait tout de même été démontrée par plusieurs études indépendantes.
Des preuves chez les animaux se sont accumulées : la reproduction implique des modifications durables au niveau neuronal et ces changements opèrent à de multiples niveaux :
– changement dans la morphologie des dendrites,
– développement de cellules,
– expression de gènes.

Les auteurs de l’étude dont il est question ici, se sont attachés à chercher les différences de structure de la matière grise du cerveau humain entre des femmes primipares (qui mettent au monde leur premier enfant) et des femmes nullipares (sans enfant). Ils ont aussi cherché à déterminer le lien entre les modifications de structure et l’attachement mère-enfant. De plus, l’étude a permis d’analyser les effets sur le long terme (suivi de femmes 2 ans après leur grossesse).

Les résultats
Les tests ont intégré de la neuro-imagerie : suivi du cerveau de femmes avant le début d’une grossesse (mais désireuses d’en démarrer une), pendant leur grossesse puis en postpartum.
L’étude montre qu’attendre un enfant est associé à une diminution marquée et durable du volume de la substance grise dans le cerveau. Rappelons que celle-ci est constituée des corps cellulaires et les dendrites des neurones (ainsi qu’un peu de cellules gliales, qui sont des cellules de support, de protection et d’apports nutritifs des neurones).

L’évidence est telle que selon le volume de matière grise dans le cerveau, il est possible de savoir si une femme a déjà mené une grossesse ou non.
La modification de volume a ici été évaluée grâce à une visualisation d’une diminution de surface ET de l’épaisseur corticale de certaines régions.

La neuroimagerie a permis de mettre en évidence des modifications de surfaces et d’épaisseur corticale

Incroyable, n’est-il pas ? Inquiétant peut-être penserez-vous ?
Non, bien au contraire parce que cette réduction de la quantité de substance grise s’explique par une meilleure efficacité (voir le paragraphe « mécanismes en jeu ») et elle est toujours située dans la même région : celle qui est le plus stimulée lorsque la mère est en contact avec son enfant (et lui seul, pas l’enfant d’une autre maman) et doit répondre à ses besoins (tests menés en IRM fonctionnelle, lors d’expériences post-partum).

Sur la base de divers indices et d’un traitement statistique, il semble fort probable que ces changements de volume aient des avantages adaptatifs : ils seraient liés à la performance de l’attachement mère-enfant pour une qualité de soin optimale (et surtout éviter les situations de rejet de la mère envers son nourrisson).

Mécanismes en jeu
Cette réduction de volume de la matière grise concerne certaines régions spécifiques du cortex temporal et préfrontal (fonctions cognitives supérieures) ainsi que des structures corticales médianes (souvent associées au domaine du « soi »). Mais qu’est-ce qui peut expliquer cette diminution ?
Plusieurs structures modifiées peuvent en être à l’origine. Ainsi citons des changements au niveau :
– du nombre de synapses,
– de la quantité de cellules gliales,
– de la quantité de neurones,
– de la structure dendritique,
– du système vasculaire,
– du volume sanguin,
– de la gaine de myéline qui entoure et protège les neurones.

Evidemment, difficile de faire le tri dans tous ces processus plausibles pour le cas précis de la future maman.
Mais des recoupements avec ce qui se passe dans le cerveau des adolescents ont été faits par les chercheurs et sont particulièrement éclairants. En effet, leur cerveau des jeunes est également sous l’effet d’une arrivée importante d’hormones sexuelles qui déclenchent des modifications du comportement, de la cognition, de la sensibilité émotionnelle mais aussi des changements physiques au sein des neurones et également une réduction du volume de la substance grise (surface et épaisseur du cortex).
C’est surtout le processus d’élagage synaptique qui intervient à cette période de la vie : il permet de renforcer des réseaux de neurones essentiels et de « laisser tomber » ceux qui servent et serviront moins. Le but final est alors d’affiner le fonctionnement cérébral, de le rendre plus efficace plus spécifique.

Il y a de fortes chances que ce processus soit aussi à l’oeuvre dans le cerveau de la future maman.

Des liens ont également été établis avec la « théorie de l’esprit » (processus permettant de reconnaître l’état d’esprit, les besoins, les émotions des autres) sur laquelle de nombreuses recherches ont été menées et qui mettent en jeu des modifications semblables au sein de la substance grise.

Ainsi, il semble raisonnable de penser sur la base de ces résultats, que le cerveau d’une femme enceinte fasse l’objet d’une phase de maturation et de spécialisation au niveau des réseaux de neurones impliqués dans les relations sociales, l’augmentation de l’émotion et de la reconnaissance de celle des autres. Une façon judicieuse pour la future mère de se préparer à mieux comprendre les besoins de son futur enfant et de s’attacher à lui. La transition vers le statut de mère se prépare donc progressivement pendant les 9 mois de grossesse ! Fantastique, n’est-il pas ?

Et sur le long terme ?
Une dizaine de femmes ont été suivies jusque deux ans après leur première grossesse. Il s’avère que les changements observés sont définitifs (en tous cas sur les 2 ans d’observation) sauf dans la région située dans l’hippocampe qui revient à son état d’origine (d’après des études chez la souris/rats, il s’agit d’une zone particulièrement plastique pendant la période de grossesse et après la naissance).
La réduction du volume de l’hippocampe pourrait être en lien avec les déficits de la mémoire pendant la grossesse. Un nouveau sujet à détailler, ici même, dans un autre article (il ne semble pas y avoir consensus sur la question).
Edit d’Avril 2018 : Une méta-analyse de Janvier 2018 fait le point sur la question, voir ce nouveau billet.

L’élément déclencheur ?
Bien sûr les auteurs privilégient la thèse hormonale comme élément clé à l’origine d’une telle restructuration mais ils se gardent bien d’être tranchés : les changements environnementaux dans le mode de vie liés à l’arrivée d’un enfant ne peuvent être exclus.
Pour étayer leur théorie, ils s’appuient sur d’autres résultats d’études longitudinales, sur le fait que les observations des changements ont été faites dans les premiers temps du postpartum, et sur le fait que dans le cerveau des ados soumis à un fort changement hormonal, une restructuration est aussi à l’oeuvre.

Conclusion
Bref, le cerveau d’une future maman se prépare bel et bien physiquement parlant à l’arrivée de son enfant… voilà qui devrait rassurer les éventuelles angoisses que ne manquent pas d’assaillir certaines femmes quant à la qualité des soins et des attentions qu’elles ne se sentent pas toujours capables d’anticiper. Elles parviendront à s’attacher, à trouver les bons gestes, les bonnes attitudes, parce que la grossesse prépare le terrain, tout là-haut dans leur cerveau.

Référence :
Hoekzema E., et al., « Pregnancy leads to long-lasting changes in human brain structure », Nature Neuroscience,2016, doi:10.1038/nn.4458,

A suivre…

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4 comments for “La grossesse et les changements de la structure cérébrale

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