Pas de gros mots avec les « agro-mots »

Cela fait plusieurs fois que je m’intéresse de près au monde agricole : citons par exemple ce post sur l’alimentation en lien avec l’agriculture (ici), ou celui sur les spécificités des cultures (besoins, devenirs, contraintes) -cf la betterave, l’orge et le colza-,  ou encore celui  de l’influence du climat sur les rendements sur Kidiscience… Et ce n’est pas fini !

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Bien que balayant des sujets touchant aux procédés, à la chimie et l’énergie (mes domaines de formation), les problématiques sont complexes : je mesure à chaque fois l’ampleur de mes méconnaissances et prends conscience des enjeux importants qui se jouent (les limites des ressources de notre environnement), de l’impact direct de choix sur nos vies (les-nôtres, les-leurs).

Bref, désireuse d’y voir clair sans me perdre dans les débats, de revenir aux fondements des différentes problématiques, d’avoir une image globale de l’état des recherches en agronomie, j’ai cherché un moyen simple d’avoir accès à des définitions claires, des notions décortiquées, des chiffres-clé, des informations sur les pratiques en vigueur, les défis à relever et les innovations qui vont pouvoir jouer.

Un ouvrage paru en mars dernier, aux Editions Quae Cherche Midi et publié par l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) à l’occasion de son 70e anniversaire, répond à l’ensemble de ces ambitions. Son titre « Agro-mots, 70 notions pour comprendre l’agriculture, l’alimentation et l’environnement« . Il est co-écrit par Laurent Cointot, Eric Connehaye et Jean-François Launay.

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Il s’agit d’un livre à la fois complet, synthétique et séduisant. Voici pourquoi.

Qu’y trouve-t-on ?
Avec seulement 70 mots classés par ordre alphabétique, un bon panorama de la question est présenté. Les informations portent sur des notions très diverses avec comme point de convergence un bon nombre d’études et recherches menées actuellement ou par le passé par l’INRA. Voici quelques thèmes qui ressortent.

La nature
On y parle des sols (dissection complète), des prairies (malades dans le Massif Central ce qui impacte l’élevage), des forêts (les risques encourus et un point sur l’agro-forestie). On y développe la menace sur les abeilles (trois causes conjuguées), la biodiversité (sa richesse sur le sol français, les recherches associées à sa compréhension, à son maintien et à sa promotion), les phénomènes naturels et leurs effets (la tempête, le climat, l’eau).

Les cultures, les pratiques

Les cultures de base font évidemment partie des mots-clés. Cap sur le blé, le maïs, le colza, les légumineuses mais aussi les vignes.
Le blé est une culture pilier de la planète. Les deux variétés (blé tendre, blé dur) sont ici explicitées, mais le changement climatique menace les rendements et les recherches agronomiques s’activent pour développer les « meilleures espèces » ou « les procédés de transformation les plus efficaces », tout ce qui permettra de nourrir la planète tout en préservant l’environnement.

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Maïs : 1200 espèces répertoriées

Pour les pratiques, un chapitre est bien sûr consacré au bio (cultures et élevage), avec la démarche d’en trouver une définition (pas si facile), les variétés développées pour préserver les ressources, le nombre de chercheurs impliqués sur les projets visant à améliorer les productions, des chiffres sur les acteurs concernés, les productions et les surfaces dédiées…
Mais on évoque aussi largement les nouvelles pistes pour assurer la sécurité alimentaire de demain telles que l’agriculture urbaine, domaine de recherche de l’INRA  (avec déjà de nombreuses réalisations concrètes)

Les acteurs et personnages illustres
On y parle des agriculteurs, éleveurs, semenciers, industriels, start-up, institutions, associations, fondations, consommateurs, politiques et on y développe leur savoir-faire, leurs motivations, leurs travail.
Vous connaissez sûrement Parmentier, le célèbre inventeur de la pomme de terre ! Mais un petit portrait lui est consacré, où on apprend qu’il a aussi travaillé sur la culture du blé.

Des sciences, de la science et des techniques
Pour accompagner au mieux l’accroissement démographique, comprendre les maladies et les traiter, c’est évidemment sur des connaissances bien établies, des techniques et nouvelles technologies que le monde pourra s’appuyer.
On plonge surtout dans le domaine de la biochimie : on s’attarde sur l’ADN et tout ce qui s’y rapporte (le séquençage avec ses dates marquantes et ses applications, la technique CRISPR Cas9), sur l’azote (en lien avec les protéines, son rôle dans l’équilibre des écosystèmes, les possibilités d’utilisation de l’azote de l’air, les engrais et la pollution par les nitrates…), sur les acides gras essentiels, sur les antibiotiques (utilisation, résistance, contamination, solutions…), les maladies (salmonelle, grippe aviaire, la vache folle, la Phyloxerra…).
D’un point de vue technologie, on décortique par exemple la robotique (saviez-vous que les drones permettent d’expertiser les sols et  connaître par exemple le contenu en chlorophylle d’une culture ?), l’informatique par le biais des modélisations ou l’électronique pour la mise au point de puces pour suivre les abeilles.

Des procédés
Vous cherchez un topo clair sur les bio-procédés, le bio-contrôle (exploiter les ennemis naturels tel que le carabes qui s’attaque aux ravageurs), la méthanisation pour valoriser les déchets, favoriser la dépollution et la production de bioénergie et des fertilisants… Ce livre est fait pour vous.

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Cap sur la méthanisation

Un point sur les biocarburants (produits à partir de colza, de blé ou betteraves ou les recherches sur la ligno-cellulose pour les techniques de 2e génération), le retraitement des eaux usées, la microfiltration du lait pour le lait de demain, le procédé Haber-Bosch,

La recherche, l’expérimentation, les projets, des résultats
Ce guide est édité par l’INRA, il est donc assez logique qu’on y trouve présentés une bonne partie des sujets de recherche des différentes équipes permettant au lecteur d’appréhender la quantité de travail accompli et imaginer celui restant à faire.
Quelques exemples d’études et d’expérimentations :
– Evaluation de l’effet des activités agricoles et des paysages sur le cycle de l’azote,
– Comment les pesticides contaminent l’environnement,
– Microfiltration du lait,
– Etude des qualités organoleptiques d’agrumes sélectionnés,

– Travail de recherche pour la création de nouvelles variétés,
– Etude du stress hydrique subi par les cultures,
– Comprendre le bien-être animal,

– Expérimentation de stations d’épuration optimisées par des microalgues (qui génèrent de l’oxygène),
– Expérimentations sur les enzymes de champignons pour le développement des biocarburants de 2e génération,

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Travail de terrain, minutie, classement …

Bref, à l’INRA, on travaille sur des sujets très variés avec un gros travail de fond, des études pratiques et de terrain … Voilà peut-être de quoi remettre en place certaines idées préconcues.

Des thèmes très médiatisés
On reçoit beaucoup d’informations, pas forcément fiables d’ailleurs, sur des sujets importants (voire des polémiques), nouveaux ou déjà plus anciens mais toujours très médiatisés. Pas toujours facile d’y voir clair, de faire la part des choses lorsque certaines approches surfent sur la vague de la peur !
Bref, dans cet ouvrage, on y retrouve les grandes préoccupations des citoyens et des scientifiques avec une synthèse des points marquants reposant sur des informations fiables (démarche scientifique).
On y retrouve donc des informations sur :
le réchauffement climatique avec des multiples points d’entrée : climat, GES, sécheresse, eau, tempête  ; quels impacts sur les cultures ? quelles recherches pour adapter l’agriculture ?
le lait (les challenges liés à la contamination, les solutions de demain et un point sur les informations diffusées par les détracteurs du lait),
les OGM (focus sur la transgenèse, l’exemple du riz doré et autres applications, les rejets qu’ils suscitent, …)
– le bisphénol A (quel est le problème ? où les retrouve-t-on ?)
– l‘alimentation du futur (la piste des insectes et l’accent sur les légumineuses)

Des découvertes surprenantes
Des informations inédites, enfin qui sont assez peu connues du grand public comme le vin sans alcool sous l’appellation « Bonne nouvelle » commercialisé depuis 1989.

Saviez-vous que 2016 est l’année internationale des légumineuses, ces cultures vertueuses qui fixent l’azote de l’air ?

Saviez-vous que des bactéries et des levures OGM peuvent fabriquer de l’insuline, une information de première importance quand on sait que le nombre de diabétiques ne cesse de croître.

Des points sur les grands accords mondiaux
Grenelle, PAC, COP21 car les choix politiques d’aujourd’hui sont décisifs pour les vies de demain. En comprendre les grandes lignes n’est pas superflu.

La forme de l’ouvrage : séduire le lecteur
Par rapport au contenu, la forme n’est pas en reste : la mise en page est bien pensée et permet d’alléger le discours, de sensibiliser le lecteur.

Des définitions et des mots clés
Vous l’avez compris l’ouvrage est organisé tel un guide ou un dico « augmenté », avec pour chaque lettre, une couleur spécifique pour un meilleur repérage. Pour une plus grande cohérence entre les différents sujets, une liste de renvois vers d’autres mots clé  en lien avec la notion explicitée est donnée en fin d’article.

Pour le vocabulaire, vous y trouverez aussi votre compte. Non, on ne dit pas « mauvaises herbes », on dit « adventices » : c’est mieux pour briller dans un repas mondain.

Et puis savez-vous ce qu’est la « pédothèque », la « phénomobile » ou « l’entomophagie » ?

Des chiffres

A chaque article relatif à un mot-clé, des chiffres importants disposés dans une police de grande taille !
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Du visuel
Des encarts colorés faisant le focus sur un projet particulier, des résultats d’études ou des innovations…
Des citations  … Et puis des photos, superbes, en couleurs, en gros plan, toujours très précisément légendées.

Conclusion
Je recommande ce bel ouvrage riche de 170 pages permettant de mieux cerner les enjeux et les efforts de recherche (références en fin d’ouvrage) dans le domaine des filières agricoles et du développement durable mais aussi de se rendre compte que les chercheurs ne travaillent pas de façon isolée : au contraire des actions concertées avec des partenaires d’autres disciplines voient régulièrement le jour tout simplement parce que de nombreux domaines sont en interaction complexe.
Personnellement, j’ai apprécié de pouvoir découvrir bon nombre des travaux de l’INRA, les projets mais également ceux d’autres institutions (l’IRD, l’Inria, le CIRAD…) ainsi que des outils au service des citoyens (ex Pl@antNet pour identifier les plantes rencontrées sur les chemins de campagne).

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