Des cristaux gigantesques

Dans le cadre de mes activités professionnelles, je me suis intéressée de près aux conditions physico-chimiques dans lesquelles le gypse (du sulfate de calcium hydraté) pouvait cristalliser. C’est là que je me suis aperçue qu’on pouvait trouver sur terre une palette très large de caractéristiques de ce minéral (c’est le moins qu’on puisse dire lorsque vous lirez la suite).

Où retrouve-t-on le gypse ?
Il s’agit d’un composé qui cristallise de façon naturelle (évaporation de lagunes d’eau de mer) mais c’est aussi un co-produit  issu de procédés industriels (désulfuration des gaz de combustion d’une chaudière par exemple).  Cerise sur le gâteau dans ce second cas, on élimine un polluant des fumées mais on retrouve un résidu solide valorisable dans l’industrie cimentière (retardateur de prise) ou dans l’industrie plâtrière.
Enfin quand je dis valorisable, c’est sous réserve que le gypse formé possède les bonnes caractéristiques justement : celles requises par le cahier des charges des industries qui le requièrent, notamment son humidité, la taille des cristaux, la pureté… Et c’est là que tout se complique !
En effet, la cristallisation dépend de nombreux paramètres et tout cela donne encore du fil à retordre à nos brillants chercheurs.
On peut obtenir de tous petits cristaux de gypse via le procédé de désulfuration évoqué ci-dessus (objet d’un prochain post pour celles et ceux que cela intéresse)

gypse_bande

Gypse industriel formé par réaction du soufre (polluant gazeux) avec du calcaire

cristaux_desulf

Cristaux d’une cinquantaine de microns.

Ou dans un cas de figure très particulier, des cristaux gigantesques peuvent se former :  c’est le cas de ceux retrouvés dans la grotte de Naïca au Mexique par exemple.

Naica

Cette mine qui permet d’exploiter les dépôts de plomb, zinc et argent de sources hydrothermales, a révélé, il y a quelques années des grottes (situées à 290 m sous l’entrée de la mine) remplies de cristaux de gypse : certains atteignent 11 m de hauteur et une épaisseur allant jusqu’à 1 m. Parfois, les cristaux traversent la grotte de bas en haut. De plus, ces cristaux en forme de prisme sont très purs, très transparents ce qui atteste de conditions vraiment particulières.

Les questions qui se posent alors : dans quelles circonstances physico-chimiques ces cristaux ont-ils pu se former, et comment ces conditions ont-elles pu se maintenir dans le temps ?

Petit rappel sur la formation d’un cristal
La formation d’un cristal s’opère lorsque la solution contenant les ingrédients de base de la molécule finale constituant le futur grain solide, n’arrive plus à dissoudre l’ensemble de ces réactifs. Cela peut être dû à un phénomène d’évaporation, de changement de température, de variation dans la concentration des réactifs …

Bref, à un certain moment la solution est « sursaturée » : les ions, molécules qui ont une affinité chimique vont se rapprocher, s’associer par des liaisons, former des produits de plus grande taille insolubles et des grains de solides commencent à se former. Oui, mais pour former un solide, les premiers grains solides (la nucléation) doivent pouvoir s’accrocher à quelque chose…Sinon le grain se redissout aussi vite qu’il s’est formé.
Lorsque la sursaturation est faible, assez peu de cristaux seront alors formés mais ils auront tendance à grandir lentement mais sûrement : ces cristaux prendront nécessairement naissance sur des germes ou points d’accroches (parois ou petites impuretés). On parle de nucléation hétérogène.

Lorsque la sursaturation est forte : au contraire, de nombreux cristaux vont naître spontanément, au détriment de la croissance : on obtient des cristaux de petite taille.

sursaturation

De gauche à droite : 1- Dissolution d’un solide 2- Solution saturée
3- Solution sursaturée (sans germe) 4- Avec germe (le cristal se forme)

Cas du gypse (CaSO4,2H2O)

Pour former du gypse, il faut en solution du soufre, que sa forme soit oxydée (sulfates) et du calcium.
Oui mais avec ces ingrédients-là, de l’anhydrite peut aussi se former : il s’agit d’un sulfate de calcium mais cette fois, sans intégration de molécules d’eau. Ce qui va orienter la cristallisation vers le gypse ou l’anhydrite ce sont les conditions de température et pression.

Le gypse se distingue par une structure en couches entre lesquelles des feuillets d’eau sont logés.
NB : il y a même possibilité de formation d’un 3e type de cristal : le sulfate de calcium hémi-hydrate (CaSO4,0,5H2O)

cristaux_schémas

Représentation schématique des cristaux de gypse et anhydrite. Le passage d’une forme à une autre passe par une dissolution puis recristallisation.                            Source ICI

Il semble que la température de 58 °C soit un point pivot de la cristallisation d’une forme vers une autre.

Au-delà de 58°C, la forme la plus stable est l’anhydrite. En deçà, c’est le gypse qui prend le dessus
L’hémihydrate quant à lui, ne cristallise pas dans cette zone de température-là.

Quid de la grotte de NaÏca
Les ingrédients requis pour la cristallisation du gypse sont issus des terrains sédimentaires donc calcaires où circulent des sources hydrothermales (donc chaudes). Par le passé (très lointain), des sulfures (issus des roches telles que la pyrite FeS2) se sont oxydés donnant naissance à des sulfates (acide sulfurique). Cette acidité réagit avec le calcaire des sols : on a donc calcium, carbonates et sulfates en solution dans des eaux plutôt chaudes.

En ce qui concerne la taille impressionnante de ces cristaux, ils ne peuvent résulter que d’une vitesse de nucléation très faible, et d’une sursaturation très basse pendant toute la durée de croissance du cristal.

Les températures relevées dans la mine sont dans une fenêtre autour de 50-58 °C, donc proche du point de basculement gypse-anhydrite et c’est bien pour cette raison, que de tels cristaux ont pu voir le jour. En effet, des observations en microscopie (couplées à de l’analyse chimique) et des calculs thermodynamiques ont permis de reconstituer l’histoire de ces minéraux géants.
A un moment donné, les conditions ont été favorables à la formation d’anhydrite. Puis un refroidissement (<58 °C) a promu sa dissolution, puis la transition vers la forme alors la plus stable : le gypse. Les cristaux examinés en microscopie ont montré qu’ils contenaient beaucoup d’inclusions de liquide en leur cœur.
Des calculs ont aussi effectivement prouvé que la solution est alors sous-saturée pour l’anhydrite mais très légèrement sursaturée pour le gypse. Le refroidissement favorable à la précipitation du gypse a donc été de faible amplitude. Le système s’est donc trouvé, durant tout le processus de cristallisation, très proche de l’équilibre entre les deux formes sulfatées.

solub_gypse_anhydrite

Le refroidissement à des valeurs proches du point de basculement a favorisé la naissance d’un faible nombre de cristaux mais qui ont pu grandir démesurément.

Ce mécanisme mis à jour par un certain nombre d’études est assez convaincant. Cela n’en reste pas moins fascinant de voir ce que les entrailles de la terre, ont pu engendrer comme merveilles.

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Pour en savoir plus :

D. Freyer and W. Voigt, « Crystallization and Phase Stability of CaSO4 and CaSO4 – Based Salts », Monatshefte fuer Chemie 2003 – Lien
García-Ruiz JM et al., « Formation of natural gypsum megacrystals in Naica, Mexico », Geology, Vol 35; no. 4; p. 327–330, 2007 – Lien

Van Driesschea et al., « Ultraslow growth rates of giant gypsum crystals »; PNAS,  vol. 108 no. 38, pp 15721–15726, 2011 – Lien 

4 comments for “Des cristaux gigantesques

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