De l’art de faire du fil, partie II : les fibres synthétiques

Second volet de notre découverte des textiles ! La première partie nous ayant permis de plonger au cœur des fibres naturelles (coton) et des fibres artificielles (exemple de la viscose), nous nous intéressons aujourd’hui au dernier procédé d’élaboration et non des moindres : les fibres synthétiques (car non issues de la nature), produits élaborés à partir du pétrole ou d’autres sources (recherches actuelles).

 Le pétrole : la soupe de départ

Il est bon de rappeler qu’étymologiquement, le mot « pétrole » signifie « huile de roche » : il s’agit en effet d’un liquide (extrêmement visqueux) composé de plusieurs centaines d’hydrocarbures qui se trouve piégé dans certaines roches sédimentaires, très profondément (c’est le fruit de la décomposition anaérobie de micro-organismes sous l’effet d’une forte pression et température).

Ces hydrocarbures sont de nature très diverses :
-de très grosses molécules, très lourdes (utilisées comme carburant, kérosène, fioul, gazole, mazout…),
– des molécules plus légères, qui une fois isolées seront modifiées chimiquement pour coller avec un usage domestique : plastiques, caoutchouc, détergeant, cosmétiques et… textiles ; tous les procédés nécessaires à ces transformations relèvent de la pétrochimie,
– des molécules très légères : essences et gaz.

La séparation des différents constituants s’effectue par étapes. Grosso modo, dans une raffinerie, on distille le pétrole : on le fait bouillir ; les différentes vapeurs obtenues passent dans une tour de fractionnement et vont se condenser chacune leur tour selon leur température de condensation. De bas en haut de la colonne, on obtient donc des produits de plus en plus légers. C’est la coupe* « Naphta » (température de condensation comprise en 70°C et 160 °C, correspondant à des hydrocarbures de 6 à 10 atomes de carbone) qui va servir de matière première à la pétrochimie. Cette dernière va faire naître les textiles synthétiques tels que le nylon, le polyester, l’acrylique, l’élasthanne, l’aramide (Kevlar).

Pour isoler les produits de la coupe Naphta, c’est le procédé appelé « vapocraquage » qui est généralement utilisé. Selon des conditions de température et de pression bien précises et en présence de vapeur d’eau, les molécules composant le naptha se craquent en donnant naissance à des molécules plus courtes (plus légères) tels que des oléfines (ethylène – propylène – butadiène-isobutène) et des aromatiques (benzène…). Ces deux termes seront explicités dans la suite de l’article.

Les polyamides : nylon et Kevlar

Le nylon et le Kevlar ont en commun le fait que chimiquement, ce sont deux molécules polyamides : un assemblage répété de molécules possédant la fonction amide (Radical R-(C=O)-NH). La nature du radical R et son encombrement vont gouverner la mobilité des chaînes et donc les propriétés du textile obtenu. La fonction amide est le produit de la réaction entre un acide carboxylique et une amine : le groupement OH de l’acide réagit avec un H de l’amine, une molécule d’eau est libérée. Ce type de réaction s’appelle un condensation. La liaison formée est la liaison peptidique (évoqué dans un précédent article)

Le nylon : présentation et propriétés.

L’acide carboxylique utilisé pour la fabrication industrielle du nylon est l’acide adipique (un di-acide à 6 atomes de carbone). Ce dernier est élaboré à partir du benzène (produit du vapocraqueur suivi d’une extraction).

L’acide adipique réagit avec une diamine à 6 carbones pour donner le nylon 6-6. La réaction conduit à la formation de petits tronçons de chaînes qui finissent par se raccorder et donner naissance à une très longue molécule. On parle de nylon 6-6 pour évoquer le fait qu’il y ait 6 atomes de carbone de part et d’autre de la fonction amide.

 

Parmi les propriétés du nylon, citons sa grande résistance (d’où son application pour les collants) et sa souplesse (application pour les poils de brosse à dents). C’est également un tissu qui ne retient pas facilement l’eau et qui par conséquent sèche très rapidement.
C’est la configuration de la macromolécule qui explique les spécificités du textile.

Dans la mesure où les chaînes carbonées sont linéaires et que la liaison (C=O)-N est plane (histoire du doublet d’électrons attirés par le carbone), les macromolécules de nylon sont linéaires. Elles peuvent donc assurer un contact très intense entre elles, contact renforcé par des liaisons hydrogène (LH) entre chaînes (NH d’une chaîne en LH avec C=O d’une autre chaîne). C’est ce qui explique la bonne cohésion et la résistance élevée du nylon.

La souplesse s’explique aussi par la linéarité et l’absence de ramification ce qui permet le glissement.

La présence des chaînes carbonées entre fonctions amides qui ont peu d’affinité avec la molécule d’eau (pas de possibilité de LH supplémentaires) explique la résistance au mouillage et le séchage rapide.

 Le Kevlar : présentation et propriétés.

Sa fabrication met en œuvre la polycondensation d’une diamine aromatique (voir définition plus loin) avec un chlorure d’acyle (R-C=O-Cl) aromatique. Une petite molécule d’HCl est éliminée.

Le Kevlar est beaucoup plus rigide et résistant aux chocs et à l’usure que le nylon (ex : gants en Kevlar, très résistants aux coupures) ; notons aussi sa grande résistance à la chaleur. Pourquoi ? Les radicaux qui composent ce polyamide sont des noyaux aromatiques : c’est ce qui fait tout la différence avec le nylon.

Le noyau aromatique est un cycle d’atomes de carbones disposés en hexagone avec des électrons qui se meuvent autour de cet arrangement circulaire et qui en font un édifice extrêmement stable mais bien plus encombrant que des atomes de carbone alignés.

Noyau aromatique : disposition en hexagone. Cas du benzène

Il en résulte que les chaînes de polyamides ainsi constituées ne possèdent pas de libre rotation autour de la liaison C-N : les chaînes sont orientées, et régulières, elles s’empilent les unes sur les autres de façon très cristalline (beaucoup plus que le nylon). Les chaînes sont très fortement reliées par des LH mais également par des liaisons faibles provenant de la superposition des noyaux aromatiques. Ce réseau très dense de liaisons explique les excellentes propriétés mécaniques de ce textile et sa résistance  aux hautes températures.

Les polyesters : cas du Tergal©

Le polyester est une succession de molécules contenant la fonction ester (R-C=O-OR).
Il est obtenu par polycondensation : réactions  entre un acide carboxylique et un alcool avec élimination d’une molécule d’eau. Selon le type d’alcool qui participe à la réaction, l’ester puis le polyester obtenu peut être plan ou réticulé (ramifié) donnant lieu à maintes propriétés.

La réaction industrielle qui permet d’obtenir les fibres polyester fait en général intervenir, l’acide téréphtalique et l’éthylène glycol (ce second élément étant lui-même produit à partir d’éthylène (C2H4) produit du vapocraqueur ce qui nous conduit au polyéthylène téréphtalate (encore appelé PET, un plastique utilisé pour la fabrication des bouteilles d’eau transparentes).

Si on le file à l’état fondu, on obtient des filaments qui sont ensuite étirés à chaud : la fibre textile apparaît. Cette étape d’étirement va permettre l’orientation des chaînes polymères dans le sens de la fibre.

Le Tergal© est la marque française pour les fibres textiles de PET. « Ter » signifiant « téréphtalique » et « Gal » pour « Gaulois »

En ce qui concerne les propriétés du Tergal, nous retiendrons qu’il est peu souple et peu froissable, qu’il résiste au rétrécissement, absorbe très peu l’humidité (peu confortable car colle à la peau). Il est donc souvent associé au coton.

Mais en réalité, toutes ces propriétés sont fonction du procédé de mise en forme subi (vitesse de filage et du refroidissement, température d’étirement, ajout d’un agent de remplissage ou pas). Toutes ces étapes vont jouer sur la quantité et la taille des cristaux formés ainsi que sur l’orientation des macromolécules dans les zones amorphes

Zones cristallines et amorphes.
Source http://matexweb.chez-alice.fr/Polyester/Polyester.htm

Dans le Tergal, on peut atteindre un taux de cristallinité de l’ordre de 40% où les chaînes sont reliées par des liaisons de type Van der Waals et des LH ce qui assure une bonne résistance mécanique et évite la déformation du système. De plus, la présence de noyaux aromatiques régulièrement répartis dans la structure apporte la rigidité à la chaîne polymère elle-même.
La forte cristallinité explique la faible mouillabilité.

Les fibres acryliques (ex: Dralon® ou Courtelle®)

Ces fibres trouvent leurs applications dans la bonneterie et les couvertures.

Le polymère de base utilisé pour les fibres acryliques est le polyacrilonitrile issu de l’enchaînement du monomère acrylonitrile de formule CH2=CH-CN. Toute fibre contenant au moins 85 % de ce polymère est appelée fibre acrylique. Contrairement aux polymères précédents, sa production est une polymérisation par addition conduisant à un degré de polymérisation très élevé (de l’ordre de 2000 unités monomères), donc des fibres très longues.

Les chaînes étant linéaires, avec une forte interaction entre elles (LH entre les atomes de H de l’une et le groupe nitrile –CN d’une autre), elles sont fortement serrées les unes des autres, d’où un aspect doux au toucher.

Le polymère acrylique est très léger, résistant chimiquement et possède des propriétés élastiques (comparable à la laine).

Un des désavantages des fibres acryliques est leur tendance au boulochage : des longs filaments se cassent et se lient avec d’autres filaments de surface.

Le Courtelle© est la marque désignant les tissus réalisés (par la Société Courtauld) avec ces fibres acryliques.

Fibres acryliques

Les polyuréthanes (ex : élasthanne ou Lycra®)

Ces polymères R-HN-(C=O)O-R’ sont issus de la réaction entre un polyalcool et une poly-isocyanate. Les polyuréthannes ont des propriétés très diverses selon la nature des radicaux.

Le textile comportant au minimum 85% de polyuréthanne se nomme « élasthanne » contraction d’élastique et d’uréthanne. La  marque commerciale connue est le « Lycra® » : une molécule assez compliquée composée des groupes urée (C=O-NH), uréthanes (C=O-O-NH), des groupes aromatiques et des chaînes polyols (chaînes carbonées linéaires,  simples).

Une grande élasticité et une forte cohésion sont leurs principales caractéristiques. Le groupement uréthane est l’élément de jonction entre les chaînes macromoléculaires. C’est la juxtaposition dans la molécule de certains blocs souples (qui assurent l’élasticité) et de segments rigides (pour la cohésion des fibres) qui expliquent les principales propriétés élastomères. Les blocs souples sont de longues chaînes carbonées issues des polyols. Les blocs rigides sont issus des liaisons uréthannes qui relient des groupes aromatiques.

 Pour finir :
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet. En particulier, l’influence de l’ensemble des traitements subis à différents niveaux du procédé d’élaboration du textile : les apprêts, les teintures, les traitements pour ignifugation, les traitements anti-boulochages, anti-tâches, les procédés d’ennoblissement… les nouvelles technologies, les fibres de carbones, les micro-fibres, les textiles techniques. Objet d’un prochain post ? alors je vous donne rendez-vous ici-même pour aller encore plus loin.

*On appelle « coupe » la palette de produits issus du fractionnement.

 Pour en savoir plus :
http://www.hypo-theses.com/docs/user126_kevlar.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Polyester
http://memoirelyceen.free.fr/sciences/chimie/polymeres/polyester/polyesterDG.pdf
http://www.ehow.com/about_5087331_properties-polyester-fabrics.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fibre_acrylique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Polyacrylonitrile

2 comments for “De l’art de faire du fil, partie II : les fibres synthétiques

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