La « faim » justifie les moyens

Article écrit dans le cadre de la première semaine thématique du Café des sciences
Le thème: la mort et tout ce qui s’y rapporte ou presque…c’est ICI

Lorsqu’un individu passe de vie à trépas, démarrent un certain nombre de processus biologiques, physico-chimiques qui interagissent entre eux de manière complexe : certains sont très rapides, d’autres au contraire s’étalent sur plusieurs années ; ils ont pour effet de mener à plus ou moins courte échéance à la décomposition du corps jusqu’à l’état de poussière. Tâchons d’y voir un peu plus clair.

I- Les premières heures : post-mortem

La mort de l’individu est une chose, celle des cellules qui le composent en est une autre. Cette lente dégradation opère progressivement selon les conditions internes (caractéristiques du cadavre lui-même) et externes (température, humidité, concentration en oxygène…).
La mort marque, bien évidemment, l’arrêt de nombreux processus inhérents au bon fonctionnement du corps ; nous n’en citerons que quelques uns :
– arrêt de la circulation sanguine,
– absence d’apports nutritifs (sucre et oxygène) aux cellules,
– arrêt de l’apport en énergie aux cellules (arrêt des pompes ATPasiques),
– arrêt des processus de défense naturelle.

L’arrêt de l’approvisionnement en énergie vers les cellules, entraîne une accumulation des cations Ca2+ dans les cellules musculaires. Quel rôle joue ce cation ? avec son homologue Mg2+, il se lie à certaines protéines pour former des complexes, et va activer ou inhiber la contraction musculaire.
Bref, l’accumulation  de calcium, va provoquer la mise en place de ponts entre deux protéines très actives au niveau des muscles : la myosine (2 chaînes lourdes de 2000 AA aux extrémités très enroulées) très rigide, et l’actine.   A l’échelle moléculaire, le fait que les molécules de protéines se lient, s’appelle la coagulation, ce qui les rend plus compactes. Au niveau macroscopique  cela se traduit par le raidissement des muscles : c’est la rigidité cadavérique. Cet aspect est développé plus en détails dans le post de mon collègue cafetier  ICI.

Parallèlement, l’absence de circulation sanguine provoque la stagnation du sang, l’ouverture des vaisseaux sanguins  : des tâches violettes apparaissent sur le corps. On parle de lividités cadavériques.

Un troisième phénomène s’amorce également : l’absence de l’apport de nutriments vers les cellules provoque leur mort (il fallait bien s’y attendre !). Notons aussi que la chute de pH liée à l’accumulation d’acide lactique a pour effet de dénaturer les protéines composant les cellules : elles perdent leur intégrité de structure. Les enzymes qu’elles ont accumulées, sont alors libérées et vont se retourner contre les cellules elles-mêmes pour entamer leur réaction de digestion : c’est de l’auto-digestion, autrement appelée autolyse ou autophagie.

L’autolyse va progressivement toucher tous les tissus. Lorsque ceux des parois intestinales sont touchés,  les bactéries qui s’y trouvent (le microbiote)  vont être libérées. Comme les processus de défense naturelle sont anéantis, les micro-organismes vont proliférer de façon exponentielle et leur activité va s’accroître : la décomposition est amorcée.

II- Premières étapes de la décomposition
C’est l’action des micro-organismes issus du microbiote qui marque le départ de la décomposition. Les micro-organismes, comme tout être vivant, doivent trouver des nutriments pour leur propre construction cellulaire et leurs besoins en énergie (en particulier du carbone, oxygène, hydrogène, azote, soufre, phosphore) ; ils vont donc consommer, dégrader les molécules organiques complexes des tissus du cadavre (principalement les protéines : de longues chaînes d’acides aminés imbriquées sur elles-mêmes et les unes dans les autres). La modification des protéines va se faire en plusieurs étapes :
– une phase de dénaturation qui va surtout toucher les structures secondaires, tertiaires et quaternaires, c’est à dire la façon dont les chaînes peptidiques s’organisent les unes par rapport aux autres.
Cette première étape rendra la protéine affaiblie, plus sensible aux attaques enzymatiques car elle aura perdu sa fonction biologique.
– une  phase de dégradation proprement dite,  où cette fois, la structure primaire est touchée : la chaîne peptidique est coupée ; des petites molécules de gaz et des fragments protéiques élémentaires apparaissent (les longues chaînes sont un peu coupées, en poly-peptides par ex). On parle de dégradation enzymatique. Rappelons  que le rôle des enzymes est d’accélérer de façon vertigineuse la vitesse de réaction de dégradation (on parle de biocatalyse).

Les gaz issus de cette première étape de dégradation vont s’accumuler, faire gonfler le cadavre,  faire éclater certains organes. C’est l’apparition de petits molécules protéiques qui est responsable de la coloration verdâtre qui apparaît sur l’abdomen (là où se trouve la vésicule biliaire, lieu propice au développement bactérien, le pancréas riche en enzymes) et sur la région iliaque (là où se trouve le point de départ  du côlon, où l’activité microbienne est maximale).
De nouveaux éléments extérieurs vont alors intervenir. En effet, la dégénérescence des tissus  est liée à l’action de trois types de faune extérieure :

– les bactéries dont les premières sont celles de notre propre flore intestinale,
– les champignons saprophytes qui par réaction enzymatiques se nourrissent de la matière organique en décomposition,
– les insectes dont l’activité va être modulée selon les conditions de température, ou d’humidité. Les mouches par exemple, vont pondre des oeufs et les larves vont se nourrissent du tissu humain.

Toutes ces espèces vont se succéder dans un ordre précis (ce qui d’ailleurs permet de dater une mort) selon le travail de dégradation réalisé par « l’équipe » précédente… Comme sur un grand chantier ! La putréfaction commence.

La décomposition bat son plein
(Dessin de Valentin Baugé)

III – Putréfaction active
L’activité microbienne (avec d’autres joyeusetés) bat maintenant son plein avec son cocktail d’enzymes de plus en plus ciblées vers les liaisons chimiques les plus coriaces.

L’être humain étant constitué approximativement de 65 % d’eau, 20 % de protéines, 10 % de lipides,  1 % de glucides et 5 % de minéraux, nous allons passer en revue les réactions subies par ces différentes catégories.

Dégradation des organes et des muscles : action sur les protéines
Selon le type de micro-organismes présents, le type de tissu concerné, différentes liaisons vont se couper.
Hydrolyse ou protéolyse : Il s’agit tout simplement de poursuivre le travail déjà entamé et couper les chaînes d’acides aminés aux endroits les plus fragiles, en chaînes plus courtes (des polypeptides) voire en acides aminés (AA). Les protéines les plus résistantes, épargnées pendant les premiers instants de la décomposition sont de plus en plus menacées au cours du temps (ex: le collagène (trois chaînes polypeptidiques en hélice associées sera très résistante, donc hydrolysée tardivement).
Cet effet explique l’ordre de décomposition (selon la nature des protéines qui les compose) des différentes parties du cadavre : larynx puis estomac, intestins puis poumons puis cerveau, coeur, vessie, utérus et enfin peau, cheveux et ongles et enfin les os (voir dernier paragraphe).
Réaction de décarboxylation
Les AA produits par la protéolyse sont attaqués par certains enzymes   (les décarboxylases microbiennes) ce qui évidemment éjecte une petite molécule de CO2 : les acides aminés sont alors transformés en amines biogènes.
Quelques exemples (les plus parlants, car il y a foison) :
L’acide aminé  » ornithine » se transforme en diamine qui porte le doux nom de  putrescine de formule NH2-(CH2)4-NH2
L’acide aminé « lysine »  se transforme en amine au doux nom également de cadavérine de formule NH2-(CH2)5-NH2.
Ces deux amines sont particulièrement remarquables puisque ce sont elles qui donnent les odeurs nauséabondes caractéristiques de la chair en putréfaction. Celles qui attirent les charognards.


– Réaction de désamination
Le terme ultime de la décomposition des protéines est une désamination des acides aminés libérés par la protéolyse : l’azote des AA est éliminé sous forme d’ammoniac.

Dégradation des tissus adipeux : action sur les lipides
On retrouve les lipides (sous la forme principale de tri-glycérides)  dans les tissus adipeux qui contiennent également de l’eau et des protéines.
L’un des représentants majeur des tri-glycérides est l’acide oléique (peigne à trois dents, chaque dent étant une fonction ester).
Comme précédemment, lors de la première étape de l’attaque : le tri-ester subit une hydrolyse (encore appelée  saponification) ce qui conduit à des acides gras (une longue molécule avec une grande chaîne carbonée). Ces derniers (en conditions anaérobies)peuvent ensuite subir une hydrogénation (les liaisons doubles sont transformées en simples liaisons).
La réaction de saponification est la même que celle qui est mise en jeu pour la fabrication de savons. Ainsi, lorsque cette dernière est poussée à l’extrême, le gras de cadavre prend l’aspect du savon, et forme une cire adipeuse (l’adipocire)

Adipocire issu d’une saponification                                Source : http://thiago.free.fr/mortuary/medleg/saponi.html

Action sur les glucides

Les chaînes de glucose vont elle-aussi être cassées progressivement de façon à faire réapparaître les maillons  « glucose » qui peuvent se décomposer complètement (CO2 et eau) ou de façon incomplète avec production de toute une série d’acides selon le type de bactéries présentes. On voit apparaître en particulier l’acide lactique (celui qu’on connaît bien après un effort intense lorsque la consommation du glucose est supérieure aux apports en oxygène).

Le travail de nettoyage des tissus mous est achevé au bout d’un an environ. Des cas particuliers, dans des environnements particulières riches en biote  montrent des durées de décomposition bien plus accrues (une dizaine de jours…ex d’un cadavre de vache laissé sur place, à l’air libre qui se dégrade en 12 jours)

Que devient cette matière organique ensuite ? je vous renvoie à cet article très intéressant !

Réduit à sa plus simple expression                                    (dessin de Valentin Baugé)

IV- La fin de la décomposition : la minéralisation

Après avoir touché la partie molle, la décomposition va se poursuivre avec la dégradation du squelette. Mais pour atteindre ce stade, plusieurs dizaines d’années sont nécessaires.
Les os constitués :
– de collagène,
– d’une fraction minérale (appelé hydroxy-apatite, de la famille des phosphates, partie très imbriquée au collagène)
– et d’une substance de base organique.
Des bactéries particulières parviennent à couper le collagène jusqu’à la fraction acide aminé. L’apatite se trouve libéré et va se dégrader : en particulier les ions calcium s’échappent, les os se décalcifient, se fragilisent et peuvent subir un phénomène de dissolution (selon T°, pH, humidité, faune biotique). Et tout redevient poussière ! 

 Pour en savoir plus :

http://www.forenseek.org/Decomposition-d-un-cadavre.html
http://cte.univ-setif.dz/ses2/haichournora/proteinecatabolisme.html
http://en.wikipedia.org/wiki/Chemical_process_of_decomposition
http://fr.wikipedia.org/wiki/Datation_des_cadavres 

7 comments for “La « faim » justifie les moyens

Répondre à Jany Quintard Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.