La parasitologie au cœur des labos de Pasteur

Il y a très longtemps que je devais écrire ce billet qui fait suite à une visite à laquelle j’ai pris part au sein d’une unité de l’Institut Pasteur à Lille. C’était il y a déjà un an, et il s’agissait d’une visite « Au cœur des labos » dans le cadre de la Fête de la Science 2017.
Donc à l’Institut de Pasteur de Lille, souvent en collaboration avec d’autres institutions, des chercheurs concentrent leurs efforts dans la lutte contre les maladies : maladies cardiovasculaires, métaboliques, respiratoires, neurodégénératives, maladies parasitaires. En octobre 2017, une visite au sein d’une unité de parasitologie était organisée : 12 équipes travaillent sur les parasites.

Nous visitons différents services et sommes tout d’abord accueillis par Jean-Michel Saliou responsable du plateau « Plate-forme Protéomique et Peptides modifiés » ou P3M. Son équipe travaille sur les cellules en cherchant à comprendre quelles protéines (assemblages d’acides aminés) sont spécifiquement synthétisées par un certain type de cellules et ce, dans un environnement donné.
L’ensemble des protéines fabriquées par une cellule ou un groupe de cellules s’appelle le protéome et sa compréhension est des plus complexes sachant qu’il faut cerner quels gènes sont impliqués dans la synthèse d’une protéine, et qu’un gène peut jouer un rôle pour l’élaboration de plusieurs protéines. En plus, des modifications de ces protéines interviennent après les étapes de transcription (copie d’un gène par l’ARN messager) et de traduction (synthèse proprement dite de la protéine par des ribosomes à partir de l’information de l’ARNm) : des petits groupements se greffent par exemple sur les protéines (méthylation, phosphorylation…). Cela complique sensiblement l’affaire car le nombre de protéines différentes augmente considérablement.

Quel est le but de cette connaissance sur les protéines ?
Dans le cadre des recherches sur le cancer, la compréhension du protéome de cellules est importante car certaines protéines sont modifiées par les cellules cancéreuses ou bien des modifications normales (post traduction) au sein des cellules saines sont altérées en cas de cancer. Cela affecte des mécanismes cellulaires et peut conduire à des changements sur des récepteurs cellulaires ou des interactions entre protéines.
Bref, connaître tout cela est un atout important pour suivre l’évolution d’une maladie, développer des stratégies de lutte : cibler les protéines modifiées pourrait donc amener aux développements de thérapies.
C’est aussi particulièrement important afin de trouver des biomarqueurs de certains cancers (quelles sont ces fameuses protéines modifiées) afin de les détecter précocement et donc de traiter plus rapidement.

Dans le cadre des recherches en parasitologie, la compréhension du protéome revêt aussi toute son importance. En cas d’infection virale, le profil protéomique des cellules est modifié. En recherchant les modifications dans l’expression des protéines, il est donc possible d’étudier l’infection causée par différents virus avant même que des signes cliniques apparaissent. L’infection par le virus de l’hépatite E, qui transite via de l’eau contaminée ou de la nourriture souillée est l’un des sujets de recherches de JM Saliou. Certains cycles métaboliques sont modifiés et la protéomique permet de les mettre en évidence.

Quelles technologies ?
Alors comment s’y prend-on ? La protéomique nécessite de pouvoir identifier toute une palette de protéines et de les doser (analyse quantitative). C’est un sacré challenge dans la mesure où elles présentent une gigantesque diversité de propriétés dont en particulier la taille moléculaire.
D’abord il faut pouvoir extraire des protéines des cellules ou des tissus, les purifier avant de les analyser.

Actuellement, la technique la plus perfectionnée est la spectrométrie de masse pour identifier des protéines présentes dans un échantillon. A l’Institut Pasteur de Lille, ce jour-là on nous présente la machine.

Le spectromètre de masse, technique utilisée pour identifier les protéines

Cette technologie est utilisée pour trier selon le rapport masse/charge (m/z) des substances à analyser grâce à un champ électrique. Mais avant cela, une première étape consistant à ioniser les protéines est nécessaire. C’est généralement un laser qui est utilisé pour cette étape.
Ensuite pour piéger les ions, c’est la technologie Orbitrap qui est utilisée. Deux électrodes coaxiales permettent d’induire une trajectoire particulière aux ions et l’étude de cette trajectoire permet de retrouver la masse.

Principe de l’Orbitrap (MS)

Cap sur la toxoplasmose
Notre visite se poursuit par la visite d’autres labos, en lien cette fois-ci avec des travaux sur la toxoplasmose, maladie liée à l’infection par le parasite Toxoplasma gondii.
En France, cette maladie touche 30 à 50 % de la population et ces chiffres risquent d’augmenter sensiblement d’ici 10 à 20 ans. Le cycle de vie de ce parasite est particulier car il possède deux hôtes :
– un hôte intermédiaire tel que l’homme, la souris, les bovins…
– un hôte définitif : le chat (et les félidés en général).

Par les excréments du chat, des oocytes sont rejetés : il s’agit de capsules contenant des parasites, et qui résistent bien dans le sol et sur les végétaux. La consommation de légumes mal lavés peut être la voie de contamination vers l’homme.

Chez l’homme (et d’autres mammifères), il existe une forme « latente » sous forme de kystes qui résident dans les tissus vivants et certains organes tels que le cerveau, les muscles (la réponse immunitaire y est plus faible). Pas très rassurant surtout qu’il semblerait que le parasite puisse manipuler son hôte ! Des souris infectées par exemple, ont des réactions modifiées par rapport à l’urine de chat. Au lieu d’en avoir peur, elles sont au contraire attirées et se jettent dans la gueule du loup. Hop, le parasite peut rejoindre son hôte définitif [1].

Bref à l’Institut Pasteur, on travaille sur cette thématique en s’interrogeant par exemple sur :
– les effets potentiels de ces kystes sur le cerveau,
– la réponse du système immunitaire,
– les liens potentiels entre ces kystes et le déclenchement possible de la maladie d’Alzheimer, ou autres maladies neurodégénératives, ou la schizophrénie.

Mathieu Gissot et Thomas Mouveaux, chercheurs basés à l’Institut Pasteur de Lille (rattachés au CIIL-Centre d’Infection et
d’Immunité de Lille- UMR 8204 associant l’Université de Lille, le CNRS, l’Inserm, le CHU Lille, l’Institut Pasteur de Lille), nous ont accueillis pour nous présenter leurs travaux et le matériel d’observation.

Observations des parasites Toxoplasma gondii : comment entre-t-il dans les cellules ?

Il y a encore pas mal de challenges à relever pour comprendre la biologie du parasite et notamment les différentes formes qu’il adopte dont certaines sont particulièrement virulentes.
L’équipe travaille sur la compréhension des mécanismes expliquant la virulence de ces formes qui permettent l’invasion des cellules hôte ainsi que leur contrôle.
Des travaux ont d’ailleurs été publiés récemment sur cette thématique. Ils sont axés sur l’étude des protéines contenues dans les organelles spécifiques des parasites et qui sont actives pour moduler l’expression des gènes chez l’hôte [2]

Sources :
1- Berdoy M, Webster JP, Macdonald DW (August 2000). « Fatal attraction in rats infected with Toxoplasma gondii »Proceedings of the Royal Society of London B: Biological Sciences267 (1452): 1591 4. doi:10.1098/rspb.2000.1182.

2- Lesage K.M., Huot L., Mouveaux T., Courjol F., Saliou J. M., Gissot M., « Cooperative binding of ApiAP2 transcription factors is crucial for the expression of virulence genes in Toxoplasma gondii », Nucleic Acids Research, 2018, doi: 10.1093/nar/gky373

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