Biomimétisme : une colle inspirée d’une limace

Comment vous y prenez-vous pour coller deux matériaux ? En fait, tout dépend de la nature des matériaux en question car pour un résultat optimal, différents types de colles existent sur le marché.

Les choses se compliquent dans cette affaire lorsqu’il est question de surfaces humides et non statiques. Bref, comment ça se passe pour les tissus vivants susceptibles de bouger ? Or dans ce domaine, de gros besoins se font sentir et le challenge est nettement plus fort que celui lié à la nécessité de recoller un vase, aussi précieux soit-il ! Citons quelques exemples : comment œuvrer pour la réparation de lésions, pour réaliser des pansements efficaces sur des blessures profondes, pour contrer une hémorragie hépatique, ou encore pour la mise en place de dispositifs médicaux de soutien ou de stimulation au sein d’un organe (pacemakers par ex). Bref, quelle colle appliquer à des tissus biologiques ?

Un petit tour du côté des colles commerciales nous permet de dresser le portrait de quelques adhésifs et parmi elles, ceux qui seraient applicables aux surfaces humides ou mouillées :
– la « super glue » présente une efficacité de collage élevée mais son application sur des organes vivants est impossible : la colle se solidifie et devient trop rigide pour accompagner le mouvement d’un tissu biologique. Quant à la toxicité, n’en parlons même pas.
– les adhésifs inspirés des moules s’appliquent au vivant mais les propriétés adhérentes sont souvent faibles,
– des adhésifs commerciaux utilisés en chirurgie peuvent former des liaisons covalentes mais ils ne sont finalement pas assez robustes pour certaines applications et finissent pas lâcher avec le temps.

Ainsi pour des applications biomédicales, la colle doit présenter plusieurs caractéristiques :
– être capable d’établir des liaisons fortes avec le substrat,
– pouvoir dissiper l’énergie sans « cassure » lorsqu’une contrainte est appliquée (tel un élastique),
– présenter une bonne compatibilité avec les cellules biologiques, les tissus, les fluides.

Des chercheurs ont alors eu la bonne idée de regarder de plus près les propriétés d’un mucus : celui secrété -en cas de menace- par une espèce de Limace « Arion subfuscus » dont voici le portrait.

La limace de l’espèce Arion subfuscus par Erik Veldhuis; modifié par Tom Meijer  CC BY-SA 3.0

 

Il s’avère que ce mucus affiche des propriétés assez extraordinaires : non seulement il adhère fortement à des surfaces humides mais il se trouve aussi être très robuste, ne se cassant pas en cas de déformation (il peut s’étendre jusqu’à 10 fois sa taille initiale avant de rompre)… Pourtant, ce mucus est composé à 95 % d’eau, bref c’est un hydrogel.


Le secret de l’affaire tient au fait que la sécrétion comporte plusieurs types d’enchevêtrements : deux types de réseaux s’interpénètrent et fonctionnent en synergie :
– un premier réseau assez rigide car très enchevêtré, constitué de protéines chargées positivement entremêlées, avec de nombreux ponts entre molécules (on parle de forte réticulation),
– un 2e réseau, fait de polysaccharides plus facilement déformable (la densité de réticulation y est plus faible).

Le réseau de protéines constitue la surface adhérente via plusieurs processus : des forces électrostatiques, des liaisons covalentes et des liaisons physiques (notamment si le substrat est poreux pour ce dernier type d’interaction).

En cas de contrainte, seules quelques liaisons du premier réseau se rompent. Les autres liaisons restent en place et accusent le coup !
La force du système vient surtout du fait que ces deux réseaux ne sont en rien « séparés » :  des protéines sont aussi présentes dans le réseau des saccharides. C’est ce qui crée la synergie entre les deux couches et la robustesse du double réseau est bien plus élevée que celle de chacun des deux systèmes seuls.

Bref, voici donc un système qui remplit exactement le cahier des charges initial : efficacité dans l’adhérence, et souplesse en cas de contrainte.

Recherche de la formulation idéale : une colle bio-inspirée

Une publication toute récente (Juillet 2017) est parue dans Science. Elle émane d’une équipe internationale, composée de scientifiques travaillant au sein de diverses universités ou centres de recherche : Université d’Harvard (USA), Université McGill de Montréal (Canada), Université de Nottingham (Royaume-Uni), Université de Tsinghua (Chine), Département de Chirurgie Cardiaque de Boston (USA), Centre de Recherche en Bio-ingénierie et Matériaux avancés de Dublin (Irlande).

Sur la base des résultats d’analyse du mucus de la limace citée ci-dessus, les équipes ont créé un adhésif à des fins biomédicales comportant :

– une première couche à base d’un polymère réticulé (qui donne naissance à des ponts entre chaînes d’où un réseau 3D très enchevêtré), grâce à des groupements « amine primaire »
– une matrice dissipative robuste de type hydrogel qui disperse l’énergie en cas de déformation.

Notons que les amines primaires de la couche adhésive sont précisément là pour permettre l’attraction électrostatique avec le substrat, pour établir des liaisons covalentes avec les molécules présentes dans la couche dissipative (ce qui lie inexorablement les deux parties -ex : liaisons amines/ groupes acides carboxyliques-) et pour pénétrer dans le substrat si celui-ci est poreux.

Ainsi toute une famille d’adhésifs a pu être testée. Un exemple :
– le PAA : poly(allylamine) pour le polymère réticulé,
– une matrice hydrogel à base d’alginate/polyacrylamide (Alg-PAAm)

polyacrylamide pour la matrice déformable

poly(allylamine) : polymère réticulé

Des tests ont été réalisés sur des peaux de cochons couvertes de sang et des cœurs battants (de cochon) in vivo.
Le couple polymère réticulé et Alg-PAAm a donné de très bons résultats :
– l’énergie d’adhésion est élevée,
– les liaisons formées sont robustes.

Les tests de biocompatibilité (effectués sur le rat) ont également montré de bonnes réponses avec des réactions inflammatoires moindres que les adhésifs médicaux déjà sur le marché.

La colle ainsi formulée pourrait être utilisée en patch préformé déposé sur une lésion, ou sous la forme d’une solution injectable qui forme une matrice plus rigide après exposition aux UV.

Alors, la limace qui apporte son savoir-faire pour réparer un cœur ou un foie, vous ne l’auriez jamais cru !

Références :
Li J., Celiz A. D., et al. « Tough adhesives for diverse wet surface », Science, Vol 357, p378-381, July 2017

Wilks A. M., Rabice S. R. et al., « Double-network gels and the toughness of terrestrial slug glue », Journal of Experimental Biology, Vol 218, pp 3128-3137, August 2015

Illustrations : Valentin (son blog)

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