Oiseaux migrateurs et changement climatique : des faits, des menaces

Deux articles récents parus dans Science de mai (Vol.352 Issue 6287) et juillet 2016 (Vol.353 Issue 6294) mettent en lumière des études sur des oiseaux migrateurs, et les menaces qui pèsent sur ces espèces dues au changement climatique.

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Le suivi par satellite permet désormais de mieux connaître et étudier les mouvements migratoires des oiseaux ainsi que leur comportement et leur physiologie. En corrélant les informations recueillies avec des données météo (vitesse et direction des vents), le voile est désormais levé sur la façon dont ces oiseaux gèrent leurs réserves en énergie pour mener efficacement de si longs voyages.

L’étude des oiseaux frégates
Mode de vie
Les frégates sont capables de se déplacer sur de longues distances dont la traversée du Pacifique ou de l’Océan Indien. Equipés de transmetteurs, ces oiseaux marins ont été suivis dans leur périple (position, altitude, accélération) et étudiés d’un point de vue physiologique (rythme cardiaque, fréquence des battements d’ailes…).
Ces oiseaux réalisent des performances exceptionnelles : certains individus ont été suivis, volant pendant des durées de 48 jours avec une moyenne de 420 km/j en moyenne ne s’arrêtant que très brièvement sur des îles : la menace étant les atterrissages forcés en plein océan, car leurs plumes ne sont pas imperméables (absence de substance huileuse).
L’une de leurs caractéristiques est leurs très longues ailes, qui leur permet de planer de façon très efficace. Mais quelles sont les solutions adoptées pour pourvoir s’élever avec puissance et pourquoi choisir de traverser des zones difficile ?

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Frégate en plein vol plané

Les études ont montré que ces oiseaux utilisent la puissance des colonnes d’air chaud qui montent sous les nuages et en leur sein : la vitesse d’ascension des frégates peut alors atteindre 4 à 5 m/s. Une fois à la bonne attitude, les oiseaux se laissent planer sur de longues distances (jusqu’à 60 kms) jusqu’a ce qu’ils repèrent de nouveaux cumulus, signes de cheminées thermiques. Les efforts fournis pendant ces étapes sont en fait réduits, ce que les études ont montré en observant leur rythme cardiaque et la fréquence des battements.
Pourquoi les frégates s’embarquent-ils dans des voyages si difficiles, notamment au-dessus de l’océan Indien ?
Tout simplement, parce que cet océan fournit une bonne dose de nourriture pour ces oiseaux marins. Les vents s’inversent de façon saisonnière ce qui modifie les courants de surface, crée du up-welling (courants marins verticaux) et entretient un écosystème riche reposant sur le développement et le déplacement du phytoplancton. Les bancs de thons flirtent avec la surface de l’océan, repérés du ciel par les frégates, qui plongent alors -toujours sans se poser- pour saisir les poissons impliqués dans la chaîne alimentaire du thon.
Bref, la météo via les déplacements des masses d’air joue sur deux tableaux pour faciliter la vie de ces oiseaux :
– effets de portance et d’aide à l’ascension qui facilite la migration longue distance,
– aide à l’alimentation par le développement d’écosystèmes riche.

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Illustration : Valentin Baugé Blog

Les perturbations apportées par le réchauffement climatique  ?
Le réchauffement interroge sur de nombreux points et l’effet qu’il produira et produit déjà sur les masses d’air mais aussi sur la température de surface océanique risque de sérieusement perturber les mouvements migratoires des frégates et leur recherche de nourriture (il faut s’attendre à obtenir moins de phytoplancton, due au ralentissement des courants de up-welling censés rameter des nutriments en surface). Nous en parlions dans un très ancien post (des déserts dans la mer).

Mais d’autres oiseaux migrateurs sont d’ores et déjà sérieusement marqués par le changement climatique.

Le cas préoccupant de l’espèce d’oiseaux « Bécasseau maubèche »
Le bécasseau maubèche est une espèce d’oiseau migrateur qui passe l’été en Arctique (au nord de la Sibérie par exemple où il se reproduit) et la période d’hiver en zone tropicale. Il utilise son long bec pour fouiller la vase à la recherche de petits invertébrés dont il se nourrit.
Plusieurs recherches centrées sur différentes populations de cette espèce ont mis en évidence que le réchauffement climatique, particulièrement rapide dans les régions de l’Arctique, avait déjà impacté cette espèce et pourrait remettre en cause sa survie.

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Bécasseau Maubèche et son long bec

En étudiant, la morphologie d’individus dans les zones qui se réchauffent en Arctique (péninsule de Taimyr), les chercheurs ont mis en évidence une diminution de taille sur une période de 30 ans et notamment -et c’est surtout là que le bas blesse – au niveau du bec. Cette modification de taille est en fait, à relier au réchauffement climatique caractérisé par l’avancée de la fonte des neiges. Sur cette période de 30 ans, la fonte des neiges a eu lieu avec un décalage de 15 jours (mesures faites par satellites), modifiant par là, la période et l’intensité de pic d’émergence des arthropodes dont se nourrissent habituellement les oiseaux au retour de leur migration et surtout les nouveaux nés. Avec moins de nourriture disponible, la progéniture a une croissance plus lente accumulant un retard qu’elle ne rattrape jamais.
Avec un bec plus court, lors du premier hiver passé sous les tropiques, là où justement les effets du réchauffement sont moins évidents, l’efficacité pour fouiller la vase est amoindrie ce qui menace leur nourrissage (les oiseaux se rabattent alors sur des aliments de moindre qualité énergétique) et leur survie sur le long terme.
Les auteurs indiquent que de tels mécanismes pourraient être à l’oeuvre pour d’autres espèces aviaires migratoires de l’Arctique.

Bref, le réchauffement climatique touche énormément de paramètres, ceux dont on a pleinement conscience et qui sont mesurables plus ou moins facilement mais il en existe d’autres qu’on ne soupçonnait même pas et qu’on parvient doucement à cerner. Certains, tels que le décalage de réseaux trophiques mis en évidence ici, peuvent impacter de façon très subtile l’écologie de nombreux milieux, la survie d’espèces… A suivre…

Références
B. Huey, C. Deutsch, « How frigate birds soar around the doldrums », Science, Vol. 353, Issue 6294, pp. 26-27, July 2016

Jan A. van Gils et al., « Body shrinkage due to Arctic warming reduces red knot fitness in tropical wintering range », Science, Vol. 352, Issue 6287, pp. 819-821, May 2016

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