Un peu de grain à moudre ?

Ah l’odeur du bon pain frais et appétissant, pétri avec soin par le petit boulanger artisan !
Quelle sympathique invention humaine que cet aliment dont les Egyptiens se régalaient déjà il y a 3 millénaires. Il est apprécié de tous, si je ne m’abuse.
J’avais déjà évoqué le sujet du pain, notamment pourquoi son bon goût (surtout dans la croûte) en creusant un peu la « chimie des réactions » dans un très vieil article, que vous pouvez relire ICI. Mais nous y reviendrons plus en détail prochainement.

Pour la recette, rien de plus simple (du moins en apparence) : de la farine, de l’eau, de la levure mais une bonne dose de technique et de savoir-faire de la part du boulanger (le bon four et sa parfaite utilisation – à quelle température ? combien de temps ?-).
Pour la farine, bien sûr, il faut du blé à moudre (considéré comme la meilleure céréale qui soit pour faire du bon pain) et personnellement, l’image du moulin évoqué par Daudet (les Lettres de Mon Moulin de mon enfance) débarque rapidement dans mon esprit quand on évoque ce sujet. Je suis d’ailleurs tombée, lors de ballades du coté des châteaux Cathares, sur un magnifique petit moulin d’antan à Cucugnan.

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Le Moulin de Cucugnan (Aude – Languedoc Roussillon)

Alors évidemment, les moulins modernes  n’ont plus cette architecture pleine de poésie et de charme mais le procédé, quoique super automatisé, est dans son principe toujours le même : il s’agit de broyer le grain aussi finement que possible et de séparer le bon produit du reste (le son par exemple, l’enveloppe foncée du grain de blé)
J’ai eu l’opportunité de visiter (en janvier dernier) des installations dédiées à la production de farine(s) d’un moulin version moderne : cette visite, organisée par l’office du Tourismes des Weppes, concernait « Les Moulins de La Bassée » (près de chez moi dans le Nord). C’était passionnant : voilà de quoi me donner du grain à moudre 😉 pour un nouvel article ! Bref voici un petit résumé de cette visite.

Les Moulins de La Bassée est une entreprise datant de 1920, créée par l’arrière grand-père des dirigeants actuels (les frères Sion). L’usine a brûlé un peu avant la guerre et le moulin fut reconstruit et remis en fonctionnement à la libération.
C’est d’ailleurs Louis-Frédéric Sion en personne qui présente, non sans fierté et passion (et on le comprend) l’ensemble des installations. Le bâtiment qui les abrite mesure 17 m de haut et comporte 4 étages, chacun dédié à une étape particulière du traitement du blé ou de ses produits de transformation.
Les farines produites sont essentiellement à destination des boulangeries artisanales, de quelques industriels tels que Saveur en Or (farine utilisée pour la fabrication de gaufres et biscuits) mais aussi de particuliers.

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Les Moulins de La Bassée (vue de la cour intérieure) – A droite silo de stockage

Première étape : l’arrivée et le nettoyage du blé

Les blés qui alimentent les moulins arrivent par camions et sont de provenances diverses : la Somme principalement, le Nord Pas-de-Calais et une petite quantité de blé cultivé localement (ici dans les Weppes, vaste plaine aux sols riches pour la fabrication de la farine des Weppes). La répartition est variable d’une année sur l’autre. Cela assure une certaine variété dans les caractéristiques des blés, donc dans celles des farines qui en seront issues modifiant en conséquence les propriétés du produit final : le pain.
Une des particularités des Moulins de La Bassée est de réaliser des mélanges de variétés de blés de façon à produire des farines particulières pour des pains spéciaux (le consommateur aime le changement). Les farines produites sont d’ailleurs testées sur place depuis quelques temps (voir dernier partie de cet article).

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Les composants majeurs du blé sont des protéines (dont les principales la gliadine et la gluténine, insolubles, qui constituent le gluten) et l’amidon (de longues chaînes de glucose reliées entre elles : nous en parlions ici).
Ainsi, à son arrivée, le blé est analysé de façon à déterminer son taux de protéines (en particulier la teneur en gluten) et son humidité. Le premier paramètre détermine les caractéristiques de la future farine, et va influer sur les réactions mises en jeu lors du pétrissage du pain, de la fermentation et la cuisson (ce sujet sera traité à part entière dans un article dédié). Le pain sera de couleur et de goût légèrement modifiés et sa durabilité pourra également être différente.

En ce qui concerne le second paramètre mesuré (l’humidité), la valeur est comparée à une valeur cible (17%) ce qui permettra d’ajuster l’étape de mouillage juste avant la mouture.
Les blés sont ensuite mélangés selon le résultats des analyses.

La première étape du traitement consiste en un nettoyage du blé : il faut éliminer la paille, les poussières, les petites et plus grosses pierres et les résidus d’autres céréales.

Le nettoyage comporte une étape de criblage (une tôle perforée vibre : le mouvement oscillatoire met en mouvement les grains et les impuretés et une séparation se fait mécaniquement par passage préférentiel des grains le plus fins à tavers les perforations).

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Refus issu du crible

Une partie du tri est dédiée à l’épierrage, pour séparer le grain de blé  des petites pierres de même taille. Cette fois-ci la séparation repose sur le principe d’inertie : de densité différente les solides sont séparés selon leur différentiel de vitesse et donc d’inertie (les pierres de plus forte inertie sont aspirées vers le haut).

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La machine « Epierreuse »

Les grains de blé sont finalement brossés plus en profondeur grâce à une grille métallique afin d’éliminer les détritus qui seraient encore collés (poussières, fines barbes).

Les grains propres sont ensuite mouillés par pulvérisation d’eau (quantité d’eau ajustée selon l’humidité mesurée pour atteindre la valeur cible de 17%). Ils sont ensuite stockés pendant 24 h pour une hydratation en profondeur. Cette étape est importante car elle permet de faciliter la mouture, notamment la séparation de l’enveloppe, du grain proprement dit.

Deuxième étape : la mouture du blé

On est ici dans la partie maîtresse du process : le moulin ! Cette étape est répartie entre le deuxième étage du bâtiment (pour la partie broyage) et le 4e étage (pour la classification-une séparation selon la taille des grains- des flux en sortie de chacune des machines).
La mouture se fait par passage entre différents types de rouleaux en acier inox dans plusieurs machines disposées en série (7 en tous) mais comportant entre chacune d’elle une étape de séparation. Le but est d’atteindre une granulométrie la plus fine possible jusqu’au grain de farine tout en obtenant un produit le plus pur possible. Les premières machines traversées par les grains de blé ont surtout pour effet de séparer les amandes de l’enveloppe du grain (le son), le produit noble étant alors une semoule.

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Machines pour la mouture, comportant les cylindres cannelés ou lisses

Les cylindres sont de deux types :
des cylindres cannelés, pour les premiers rouleaux ; ils permettent de broyer le grain de blé jusqu’à une granulométrie de la finesse d’une semoule (différentes tailles de cannelures sont en place pour atteindre progressivement la granulométrie désirée).
des cylindres lisses permettent de poursuivre le broyage pour passer de la semoule à différents types de farine.

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Gros plan sur les cylindres cannelés

A la sortie de chaque machine, un tuyau d’aspiration véhicule les différents produits de mouture (un mélange de solides de différentes granulométries) vers une étape de séparation (située au 4e étage).

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Sortie de la mouture : mélange de farine (blanche) et son (brun)

Des capteurs permettent de repérer d’éventuels bourrages.

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Les différents flux de sortie des machines à cylindres, aspiration pneumatique vers un étage supérieur pour le tri

La séparation du son et des autres produits de la mouture est appelée « blutage » : elle est réalisée au moyen de tamis vibrants circulairement dans un plan, les « Planschister ». Différentes tailles de maillages permettent de trier de façon optimale. Le produit plus fin revient gravitairement vers le moulin suivant pour un broyage plus poussé.

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Plansicheter : superposition verticale de tamis vibrants (séparation des produits de la mouture)

Plus le nombre de machines en service est élevé, plus l’extraction est poussée, plus la farine est blanche et pure, idéale pour la pâtisserie.
Ainsi, plusieurs types de farine sont élaborées en modifiant le taux d’extraction, par exemple :
– la farine de type 55
– la farine de type 65
– la farine de type 80.

Plus la proportion de son est importante en mélange avec les grains de farine, plus le nombre qualifiant le type de farine est élevé, moins la farine est blanche.

A la fin de ce processus, les différentes farines sont acheminées vers la vis à farine (située au 3e étage) qui recueille et mélange les farines issues des différents cylindres. On récupère également dans un flux dédié, le son.

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Vis permettant de récupérer le son issu de la séparation

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Les différents flux de farine de chaque machine se mélangent ici dans la vis à farine 

L’installation est automatisée : un synoptique permet de suivre la production et vérifier que le fonctionnement est normal en tous points.

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Le synoptique permettant de suivre la production

D’un point de vue rendement, on peut retenir que pour 100 kg de blé entrant, il en sort 78 kg de farine. Ce chiffre est le fruit du réglage parfaitement optimisé des différentes machines.
Parmi les refus, il y a une bonne partie de son dont la valeur nutritive et la haute teneur en fibres le rendent intéressant pour la fabrication des aliments concentrés pour ruminants, porcs et volailles.

Quant au débit de production de farine, il varie entre 2,8 et 3,4 t/h et les Moulins de La Bassée fonctionnent au maximum 16h/jour.

Sur place, des mélanges sont réalisés pour produire différentes farines (campagne, céréales, complet…) cela se fait à l’aide d’une mélangeuse.(60 références de farine sont proposées par le Moulin) !.

Troisième étape : le silo à farine et l’ensachage

La production de farine s’écoule dans de grands silos de stockage d’une trentaine de tonnes chacun.

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Silos stockage farine (attention aux bourrages)

Au moment de l’ensachage, il faut réaliser une séparation air/farine à l’aide d’un cyclone (l’alimentation tangentielle et la forme tronconique de l’appareil permettent une accélération du mélange et les solides plus lourds – ici la farine- sortent en partie basse).

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La farine est ensuite mise en sacs de 25 kg de façon automatique.

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Ensacheteuse

Il ne reste plus qu’à livrer.

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Quatrième étape : Tester les différentes farines et mélanges

Depuis quelques mois, les farines et les mélanges produits peuvent être testés grâce à l’installation d’un pétrin, d’une chambre de pousse, d’un fournil et la présence d’un professionnel boulanger : les différentes références donneront-elles du pain de bonne texture, de bon goût (quoique cette affaire est assez subjective) mais aussi répondant aux caractéristiques de durabilité ?

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Le pétrin

Bilan

Voici une petite synthèse du procédé.

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Alors vous ne verrez plus votre pain quotidien du même œil, n’est-ce pas ?

Un grand merci à l’office du Tourisme des Weppes pour l’organisation de cette visite, et à Mr Sion pour le temps qu’il nous a consacré (présentation et les explications) !

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