Le microbiote intestinal peut-il modifier le comportement d’un individu ?

Des bactéries non pathogènes peuvent-elles manipuler un individu ? Quelle intéressante question, n’est-il pas ?
Alors pour la petite histoire, j’ai décidé de me pencher sur ce thème, car figurez-vous que je suis tombée à quelques semaines d’intervalles sur deux publications qui traitaient de ce sujet : l’une concernait le petit homme et l’autre des insectes.
Bref, cela m’a interloquée… parce que pour moi, le microbiote intestinal joue sur le métabolisme, la digestion, l’immunité mais je ne vois pas vraiment de lien avec le comportement d’un individu, et ses interactions avec ses congénères. Ces derniers points relèvent plutôt de son caractère, de son émotivité : des processus physiologiques et chimiques certes, mais on reste dans le domaine cérébral. Il est vrai qu’on parle de plus en plus des liens cerveau-intestin mais selon moi, ce qui se passe dans l’intestin influençait surtout sur le système nerveux autonome (non volontaire). Comment les hôtes de l’intestin pourraient-ils jouer un rôle sur le comportement ?

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Microbiote Lactobacillus casei (en rouge) siégeant dans l’intestin (en vert) – Crédit Inserm ; T. Pédron

En fait, de récentes recherches ont bel et bien montré que les micro-organismes avaient un rôle beaucoup plus puissant qu’on le pensait initialement, jusqu’à moduler le comportement « social » chez de nombreuses espèces.
Bon, ça n’est pas très glamour, mais une des deux études concerne les cafards et l’autre, nettement plus mignon, pour la mère (du genre humain) que je suis, les bébés.

Le cas des abeilles et des cafards
Chez les insectes, il est assez courant de trouver des relations de symbiose entre le microbiote et son hôte. Citons par exemple les bactéries lactiques chez l’abeille qui, logées dans son estomac (où elles y trouvent sucre et température idéale) fournissent en retour une aide précieuse pour la transformation du nectar en miel (fermentation des sucres du nectar) favorable à une sublimation des arômes et une protection contre les méchants pathogènes ! C’est intéressant mais pour l’instant, il n’est pas question de comportement.
abeille
Passons aux cafards.
Le système digestif des cafards est colonisé par différentes communautés de microorganismes qui, d’après les recherches récentes, promeuvent le regroupement de ces insectes. Or, le comportement grégaire et la vie en communauté sont pour eux, primordial : cela leur permet en particulier d’assurer une thermo-régulation efficace, de diminuer leur perte en eau et bien sûr d’assurer facilement la colonisation d’un endroit où les ressources sont intéressantes (la vie en communauté accélère également le développement des nymphes et la maturité sexuelle).

cockroaches

Différentes espèces de cafards. L’étude présentée ici ne concerne que le cafard « German Cockroach » (dessin A)

Au départ, les scientifiques pensaient que le regroupement des individus était lié à la production de composés  par les insectes eux-mêmes (processus endogène) via leur cuticule ou leur salive. Il y a sûrement de cela, mais ils ont découvert qu’en réalité, la grande explication venait de leurs déjections, leurs fèces. Crotte alors !

L’analyse des dites fèces, a alors révélé plus de 150 composés et une bonne cinquante d’acides carboxyliques volatiles – ACV- (des acides à chaînes carbonée, qui passent en phase vapeur). Ce sont ces dernières molécules qui jouent un rôle particulier dans l’attraction des congénères.
Les chercheurs ont alors cherché la source de ces ACV grâce à tout un tas d’expériences (palpitantes) et ont mis en évidence qu’ils émanaient de différentes communautés de micro-organismes agissant en synergie, présentes dans l’intestin du cafard.

Le type d’ACV des fèces dépend beaucoup des facteurs environnementaux tels que la nourriture ingérée, le type de micro-organismes. Les nymphes ont des préférences olfactives qui favorisent la reconnaissance de la signature d’individus de la colonie. Les auteurs suggèrent que des informations encore plus précises seraient peut-être extraites des déjections : démographie, qualité de la nourriture présente ou maladies de la communauté.
Trois mécanismes sont avancés pour expliquer la production des ACV présents dans les fèces :
– les bonnes bactéries stimuleraient leur hôte à produire eux-mêmes les molécules attractives,
– certaines communautés fonctionnent en collaboration avec d’autres micro-organismes et les stimulent  à produire ces composés,
– les bactéries engendrent spontanément les ACV par leur activité enzymatique (ie de découpe, on en parlait ici).

Les chercheurs expliquent aussi comment les « bonnes bactéries » arrivent à coloniser le système digestif des insectes. La nourriture ingérée permet -par sélection- de favoriser les bactéries les plus utiles, et la consommation des fèces du voisin introduit dans le système digestif du cafard,  les bactéries de la communauté. Un sacré partage des ressources !

Ces résultats, outre leur intérêt dans la compréhension des liens entre microbiote et comportement, pourraient être utilisés pour la mise au point d’appât dans la lutte contre les cafards envahissant les habitations.

Chez le petit homme
Lorsque le nourrisson est allaité, il consomme moultes molécules primordiales pour son développement (j’en ai déjà parlé à de nombreuses reprises, voir cette catégorie). Parmi celles-ci, les sucres oligosaccharides ont plusieurs spécificités : des alliés pour la vie.
En effet certains oligosaccharides du lait human (HMO- Human Milk oligosaccharides) présentent des propriétés prébiotiques : il a souvent été constaté une différence dans la composition du microbiote entre enfants allaités et non allaités (à l’âge de un an) : moins diversifié, le microbiote des enfants consommant le lait de leur mère est plus riche en bifido-bactéries et pour cause, ce sont les seules entités capables de découper les HMO. Une belle collaboration s’établit alors, avec pour effet une meilleure récupération des nutriments, une protection contre les pathogènes, une synthèse de vitamines et un développement optimal de l’immunité du tout-petit.

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Bifidobactéries

Bref, j’en étais à peu près restée là, de mes lectures et de ma synthèse sur la parfaite synergie entre des bonnes bactéries qui savent découper les bons HMO. C’est déjà une coopération passionnante à comprendre, mais en fait … ce n’est pas tout. Il y a autre chose à saisir de cette interaction HMO-microbiote : c’est là qu’on rejoint le thème annoncé dans le titre.

Les auteurs d’une étude récente (Avril 2015), démontrent que les oligosaccharides (HMO) en favorisant la colonisation par certains micro-organismes qui jouent un rôle dans la régulation du comportement de l’enfant (pleurs, émotivité) en mettant en jeu l’axe intestin-cerveau.

Le petit nécessite et réclame un maximum d’attention, de soins et de ressources : il mettra tout en oeuvre pour obtenir (signaux, sourires, pleurs, colères). En retour, la mère qui comble au maximum ces besoins, doit néanmoins pouvoir garder un peu d’énergie pour assurer le quotidien, et le soin envers ses autres enfants. Il faut donc que ces deux contraintes puissent s’ajuster au mieux. C’est la régulation comportementale du bébé via la synergie HMO/bactéries qui permet de rendre plus compatible les besoins de la mère avec ceux de son enfant : ce dernier pleure moins, et prend plus vite « son indépendance » ; sa maturation émotionnelle est boostée.

L’un des mécanismes présenté repose sur la production de neurotransmetteurs émanant des micro-organismes qui stimulent les cellules du nerf vague et d’autres cellules nerveuses : voilà pour le lien avec le cerveau.

Le lait maternel contient aussi des hormones de type glucocorticoïdes. Leur absorption développe la concentration et l’expression des récepteurs à ce type d’hormone lorsque le cerveau de l’enfant se construit et tout cela organise le développement neurobiologique et comportemental de l’enfant (le système de l’axe hypothalamo-pituito-surrénalien est également impliqué dans cette organisation).

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Axe intestin-cerveau influencé par le microbiote, les HMO, leur interaction et les hormones (figure issue de la publication)

Enfin, sans même aller chercher aussi loin, les auteurs soulignent aussi qu’une digestion facilitée, moins d’infections par des pathogènes, une récupération optimale d’énergie favorise forcément globalement le confort du nourrisson : il pleurera moins !

Bref, les micro-organismes, acquis par le lait maternel manipulent « positivement » nos bébés. Il faut donc savoir que la mise en place de l’ensemble de ces systèmes complexes risque d’être remis en cause par des pratiques courantes (trop ?) telles que la césarienne, le recours au lait de formulation ou l’utilisation précoce d’antibiotiques.

Bilan
Voilà, cafards, petits humains : deux exemples où on commence juste à toucher du doigt l’influence du « bon » microbiote sur les habitudes comportementales. Il serait même question de pouvoir soulager des maladies psychiatriques tels que des syndromes dépressifs, en tentant de modifier la colonisation intestinale.

Références

  •  Olofsson TC, Vásquez A. Detection and identification of a novel lactic acid bacterial flora within the honey stomach of the honeybee Apis mellifera. Curr Microbiol vol 57, pp 35663- 2008
  • Olofsson TC et al., « Lactic acid bacterial symbionts in honeybees – an unknown key to honey’s antimicrobial and therapeutic activities », International Wound Journal, 2014
  • Wada-Katsumata et al., « Gut bacteria mediate aggregation in the German cockroach » Proceedings of the National Academy of the Sciences of the USA,doi: 10.1073/pnas.1504031112 – 2015 Lien
  • Cary R. Allen-Blevins et al.,  « Milk bioactives may manipulate microbes to mediate parent–offspring conflict », Evolution, Medicine and Public HealthVolume 2015 (1), pp 106-121, 2015,  lien 

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