Comprendre le cancer du sein (Partie III)

Suite de la série de 5 articles commencée il y a quelques temps, permettant de comprendre dans les grandes lignes le cancer du sein : ses caractéristiques, ses origines connues et les possibles facteurs protecteurs.

Note préliminaire : Les informations présentées en version très simplifiée sont issues de mes lectures (références en bas d’article). Elles ne se substituent en rien au diagnostic et explications d’un professionnel de santé. 

Résumé succinct partie I

La première partie, à relire ICI, a permis de revoir la définition d’une cellule avec son noyau au sein duquel on trouve l’ADN : la molécule, support de de l’information génétique (un gène est un petit morceau d’ADN qui donne une instruction pour synthétiser une protéine).
Ce premier volet a également balayé les spécificités des cellules mammaires, leur organisation et leur évolution tout au long de la vie d’une femme.
En résumé, on trouve :
les cellules épithéliales (type « revêtement ») avec les cellules luminales alvéolaires et les cellules luminales canalaires. Leur contact avec la membrane basale et l’extérieur est limité.
les cellules myoépithéliales (qui se contractent) aussi appelées, « cellules basales ».

La glande mammaire évolue fortement en cas de grossesse, allaitement et à chaque cycle : des cellules souches y sont donc présentes et se transforment pour donner les différents types de cellules. Mais parfois, ces cellules souches évoluent en tumeur  : la prolifération n’est plus contrôlée.

Résumé succinct partie II
La deuxième partie, à relire ICI, a permis de comprendre les différents types de cancers du sein avec les principales classifications (selon la zone touchée, le profil génétique de la tumeur, selon les caractéristiques moléculaires ou selon leur agressivité).

Les cellules possèdent (ou non) différents types de récepteurs : tels une serrure permettant de s’associer à une clé spécifique, ces récepteurs vont former avec une molécule particulière présente dans l’environnement de la cellule (une hormone par exemple) un ensemble plus complexe. Ceci va provoquer une modification de la cellule et de son fonctionnement.
Les principaux récepteurs en ligne de mire sont les récepteurs à œstrogènes, progestérone, et à certaines hormones de croissance (HER2)

Bref, pour que les cellules cibles réagissent à l’effet de ces hormones, une grande partie d’entre elles, possèdent des récepteurs aux œstrogènes ER (surtout) et à la progestérone (PR). Ceux-ci peuvent être plus ou moins nombreux, et parfois en excès.

Lorsque les tumeurs ne présentent pas de récepteurs aux œstrogènes, pas de récepteurs à HER2 en excès, pas de récepteurs à la progestérone (ER-, PR-, HER-). Ils sont aussi appelés  » triple négatifs« .

Partie III : les causes connues de cancer du sein, les causes endogènes 

NB : Une cause endogène est liée à un phénomène interne (donc non liée directement à l’environnement)

Altération génétique
Comme expliqué dans la partie I, lorsque des altérations sur certains gènes surviennent (cassure de brins d’ADN, mutations, ou inactivations), la prolifération de cellules (évolution de cellules souches en cellules luminales) peut devenir incontrôlée, la mort programmée des cellules indésirables peut également être stoppée

* Les mutations des gènes BRCA1 – BRCA2
Ce sont les gènes les plus connus par rapport aux risques de cancer de sein et pour cette raison, ils sont en ligne de mire.
BRCA signifie « Breast Cancer ». et les deux gènes (BRCA1 et BRCA2) jouent un rôle majeur puisqu’ :
– ils s’expriment dans les cellules mammaires (et aussi d’autres tissus),
-ils sont suppresseurs de tumeur en évitant la prolifération incontrôlée des cellules mammaires.
Le gène BRCA1 est situé sur le chromosome 17 : environ 600 mutations ont été décrites.
Le gène BRCA2 est situé sur le chromosome 13 : environ 100 mutations ont été identifiées.

Parmi ces mutations, certaines augmentent sensiblement le risque de cancer du sein.
La protéine codée par BRCA1 est en effet impliquée dans la réparation des dommages de l’ADN (cassure double brin), la régulation de la transcription des gènes (copie d’une portion d’ADN juste avant la fabrication de la protéine programmée par un gène), la différenciation des tissus lors de la grossesse et l’allaitement. Si BRCA1 est déficient, la réparation de l’ADN ne se fait plus.
BRCA2 est lui aussi impliqué dans un processus de réparation puisqu’il favorise l’action d’une enzyme (appelée Recombinase) capable d’échanger un fragment d’ADN endommagé par un ADN correct. Si BRCA2 est déficient, la réparation de l’ADN ne se fait plus.

Qu’est-ce qui peut causer ces déficiences ? Plusieurs hypothèses sont avancées : un mécanisme épigénétique pourrait être à l’origine de l’inactivation du gène BRCA1. Un mécanisme épigénétique est une modification -due à l’environnement- de la nature chimique d’une portion l’ADN : cette modification est de plus transmise à la génération suivante. On évoque aussi un dysfonctionnement du mécanisme de régulation du gène.

Oui mais alors la question qui reste à éclaircir : pourquoi certaines mutations du gène BRCA1  n’ont-elles d’impact que dans les tissus possédant des récepteurs à œstrogènes ? Il semble que les molécules issues de la dégradation des œstrogènes aient la capacité de provoquer des cassures double brin de l’ADN et que BRCA1 soit en mesure d’agir sur la réparation.

BRCA
Des recherches ont aussi montré que le gène BRCA1 régulait le métabolisme des œstrogènes (voir le paragraphe spécifiquement dédié aux œstrogènes).  Voilà pour le lien entre BRCA1, développement de tumeurs et tissus sensibles aux œstrogènes. néanmoins, tout cela n’est pas simple !

* Mutation du gène HER2

Pour rappel (voir partie IIHER2 (Human Epiderman Growth Factor Receptor) est une protéine qui contrôle la croissance, la survie, l’adhésion, la différenciation d’une cellule.
Le gène qui la code est situé sur le chromosome 17. A cause d’une mutation, ce gène codant est amplifié ce qui augmente le nombre de récepteurs à la surface d’une cellule, et augmente la croissance cellulaire.

* Autres gènes

Des mutations sur d’autres gènes peuvent également expliquer l’apparition du cancer du sein.
Le gène Myc par exemple peut être surexprimé. La protéine Myc (série de 439 acides aminés) initie la croissance et la prolifération cellulaire grâce à de nombreux facteurs de croissance, régule la différenciation cellulaire et peut aussi déclencher l’apoptose. Enfin, Myc a la capacité d’activer l’expression de plusieurs autres gènes.
Cette sur-expression de Myc se retrouve dans les cancers de types basal ou triple négatif.

Une autre protéine est également en ligne de mire : la protéine p53, dont le gène codant se trouve (lui aussi) sur le chromosome 17. Comme Myc, c’est un facteur de transcription, c’est-à-dire que la p53 pourra activer certains gènes, arrêter transitoirement la division cellulaire (important en cas de problème), ou encore mieux déclencher la mort programmée (apoptose). p53 pourra aussi activer des mécanismes de réparation. Bref, pas pour rien que cette molécule est surnommée « gardien du génome » !
Des études ont montré que cette protéine limitait la prolifération des cellules souches présentes dans les tissus mammaires.

D’autres études ont montré que la perte de l’intégrité de cette protéine (due à la mutation du gène correspondant) était souvent présente dans les cancers du sein (environ 20 à 40 % des tumeurs sont concernées). 

p53

Voilà pour les principaux gènes impliqués.

Les causes hormonales
* les œstrogènes
Comme on l’a vu dans la partie II, certaines cellules présentent des excès en récepteurs en œstrogènes.

Estradiol

Oestradiol

Lorsqu’ils se trouvent en quantité élevée dans l’organisme, les œstrogènes vont donc se fixer sur ces récepteurs et provoquer la multiplication de cellules. Plus la prolifération sera importante, plus on risque d’atteindre un point de non retour, avec en outre, une augmentation des risques de dommages génétiques à chaque division (ce qui peut par exemple supprimer des gènes protecteurs ou remettre en cause l’apoptose, comme évoqué dans la partie précédente sur le gène BRCA).
Mais d’autres mécanismes sont également mis en jeu pour expliquer l’action cancérigène des œstrogènes. Notamment, il est avancé que le métabolisme de l’estradiol (un des principaux œstrogènes) conduit à l’apparition de petites molécules à action néfaste pour le génome.
Un autre lien avec le gène BRCA1 est ici fait par les recherches en cours : le gène BRCA semble réprimer la transcription d’enzymes qui dégradent les œstrogènes dans les cellules du sein.

Ainsi l’exposition aux œstrogènes (en durée et en quantité) chez une femme est un paramètre plutôt important, potentiellement générateur de cancers hormono-dépendants (tumeurs riches en récepteurs ER+). Cette exposition est d’autant plus forte en cas de puberté précoce, de ménopause tardive, de traitement hormonal, de prise longue durée de contraceptifs oraux (contenant des œstrogènes) ou de produits dits « perturbateurs endocriniens » dont les molécules peuvent « mimer » l’action œstrogénique.
Tout ce qui va permettre de diminuer l’exposition aux œstrogènes sera donc bénéfique (nombres d’enfants, durée totale de l’allaitement,… ).

oestrogen_stimulation_proliferation

* la progestérone
Cette hormone semble jouer un rôle important dans la régulation du nombre de cellules souches des glandes mammaires.
Pendant l’allaitement, en réponse à la progestérone (et prolactine), la différenciation terminale des cellules souches est plus importante ce qui de ce fait diminue la quantité de celles qui pourraient évoluer négativement. Bref, la progestérone protège contre le cancer du sein.
Mais le rôle de cette hormone n’est tout de même pas si aisé à cerner comme l’explique une étude récente.
Les auteurs ont bien montré le rôle de la progestérone dans le développement et l’invasion des cellules cancéreuses (métastases) mais ils concluent en indiquant que la fonction de la progestérone était fortement dépendante du contexte dans lequel elle se trouve (notamment la présence de certaines enzymes, d’autres hormones et de récepteurs particuliers).

* les androgènes / aromatase

Testosterone

Molécule de testostérone

Il nous faut d’abord parler des stéroïdes ou plus particulièrement d’hormones stéroïdiennes.
Les stéroïdes sont des molécules composés de 4 cycles carbonés. L’estradiol en fait partie et la testostérone également.

Or, les femmes produisent également des androgènes, même s’il s’agit d’hormones masculines. 

Alors, si on compare les deux molécules, il y a de grandes similitudes. Il suffirait que le cycle le plus à gauche s’aromatise (alternance de doubles liaisons) et le tour est joué (ou presque). C’est justement le rôle d’une enzyme : l’aromatase qui transforme la testostérone en estradiol ce qui ne fait qu’accroître la teneur en œstrogènes dont le rôle dans la survenue d’un cancer du sein est bien établi.

Le rôle de la vitamine D
On parle souvent de la vitamine D, celle qui est synthétisée lorsque nous passons un peu de temps au soleil (ou que nous en absorbons par des suppléments ou via l’alimentation), pour son rôle dans le métabolisme du calcium.
Mais cette vitamine joue d’autres rôles. Des études ont montré que plus la vitamine D dans le sang est élevée, plus les taux œstrogènes sont bas, ce qui ne manque pas d’impacter sur les risques de cancer du sein.
En fait, la vitamine D agit sur l’aromatase (en l’inhibant), cette enzyme qui favorise la synthèse d’œstrogènes à partir d’autres molécules.

Fin de la partie III

Partie IV : quelles sont les causes connues de cancer du sein : les causes exogènes (environnement, mode de vie …) ?

Partie V : quels sont les facteurs protecteurs connus. Quels sont les mécanismes mis en jeu ?

Pour en savoir plus

Cliquer pour accéder à MS_2002_1_86.pdf

Björkman A., « Aberrant recombination and repair during immunoglobulin class switching in BRCA1-deficient human B cells », PNAS, vol. 112 (7), 2157–2162, 2014

Savage KI, « BRCA1 deficiency exacerbates estrogen-induced DNA damage and genomic instability. » Cancer Research Vol 15;74(10), pp 2773-84, (lien)

Joshi PA et al., « Progesterone induces adult mammary stem cell expansion. » Nature, Vol 465(7299), pp 803-807, 2010

Lin V., et al, « Effect of Progesterone on the Invasive Properties and Tumor Growth of Progesterone Receptor-transfected Breast Cancer Cells MDA-MB-231 », Clinical Cancer Research, 2001

Knight JA, Wong J, Blackmore KM, Raboud JM, Vieth R. Vitamin D association with estradiol and progesterone in young women. Cancer Causes Control. vol 21(3):479-83. doi: 10.1007/s10552-009-9466-0. PubMed PMID: 19916051, 2010

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