La consommation de plantes à des fins thérapeutiques

Il y a quelques semaines j’ai assisté à une conférence passionnante sur la consommation de plantes à des fins thérapeutiques. Elle était présentée par F. Nesslany (Dr en toxicologie) à l’institut Pasteur de Lille.

On a évidemment beaucoup parlé de plantes (des connues et des moins connues du grand public) mais aussi de tableaux de Van Gogh et de chewing-gum ! Mais quel est donc le rapport ?

tournesol

Les Tournesols de Van Gogh

Alors les plantes sont, comme tout être vivant, un concentré complexe d’une multitude de … molécules chimiques. On a beau vanter (à juste titre) la grandeur, la beauté, la puissance de dame Nature : elle n’en est pas moins composée  d’un incroyable amalgame de chimie (et ce de façon très élaborée, pas forcément accessible à notre connaissance – et c’est là tout le problème). Dans l’esprit de beaucoup de gens, il semble cependant que ce ne soit pas la même chimie que celle qui sort des laboratoires et des grandes industries. En effet cette dernière revêt l’étiquette de « néfaste » « dangereuse » pour l’homme…et pourtant créée par l’homme.

Cette dichotomie m’énerve beaucoup ; parce que d’une part, elle n’a pas lieu d’être : une molécule A présente dans une plante est rigoureusement identique que cette même molécule A obtenue par voie synthétique. D’autre part, ce qui est créé par l’homme a le mérite d’être connu, compris, parfaitement dosé ce qui n’est pas le cas de ce qui est extrait de la nature. En effet dans ce cas, on n’est jamais sûr de l’état de pureté d’une molécule issue d’une décoction, de la concentration obtenue dans l’extrait. Et malheureusement, beaucoup de personnes peu scrupuleuses surfent sur la vague de l’étiquette naturelle, pour faire avaler n’importe quoi.
J’avais déjà évoqué ce sujet il y a quelques temps, en parlant ici, des amandes amères capables de tuer en un clin d’œil.

Bref, j’ai appris pas mal de choses à cette conférence même si j’étais déjà largement convaincue qu’il ne fallait pas faire rimer « monde végétal » avec innocuité totale. La main de l’homme est nécessaire pour extraire judicieusement « la » molécule, et l’administrer à la bonne concentration.
D’ailleurs, le conférencier a commencé par nous rappeler que 5% des cas d’appels aux centres anti-poison sont consécutifs à la prise de végétaux et parfois le pronostic vital est engagé. Les exemples qui nous ont été présentés sont assez percutants ; en voici quelques uns.

La digitale
Cette plante est depuis longtemps utilisée comme diurétique ou cardiotonique. La molécule « digitaline » ralentit le pouls mais augmente l’efficacité de la contraction cardiaque : dans les médicaments, cette molécule est parfaitement dosée.
Le problème est que justement, le dosage est difficile : la marge thérapeutique est très étroite, proche de la dose toxique ce qui augmente les risques d’empoisonnement si la digitaline est utilisée directement, par infusion ou manipulation de la plante (notamment la digitale pourpre).
NB : au départ, la plante était utilisée pour guérir les blessures.

Un des effets de l’empoisonnement est une perturbation de la vision des couleurs (la « xanthopsie » est la vision exacerbée dans le jaune) ce qui laisse penser que Vincent Van Gogh, dont les tableaux sont particulièrement ancrés dans cette gamme de couleurs, aurait pu être victime d’une telle intoxication. La digitaline, utilisée à l’époque comme traitement contre l’épilepsie, aurait été utilisée par l’artiste.

Ce tableau en particulier où apparaît la plante, conforte cette hypothèse [1] mais il se peut aussi que cela ne soit que pure spéculation pour expliquer les couleurs vives. L’esprit humain aime comprendre, et rapprocher les idées (tous les tableaux de l’artiste ne sont d’ailleurs pas dominés par le jaune).

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Pour la digitale donc, le risque d’empoisonnement est d’autant plus élevé que ses couleurs sont superbes et qu’on peut facilement la trouver le long des chemins forestiers. C’est particulièrement le cas pour les enfants attirés par ces belles clochettes dans lesquelles ils peuvent plonger leurs doigts curieux.

Digitalis

«Digitalis purpurea» par Bernd Haynold — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Les extraits de thé vert
En grande consommatrice de thé vert, j’avoue que cet exemple m’a particulièrement marquée. Rassurons nous, le thé vert « classique » n’est pas concerné (dans les conditions normales d’utilisation).

Le problème vient surtout d’extraits hydro-alcooliques de thé vert, présentés comme compléments indispensables dans un régime amaigrissant.

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Feuilles de thé vert
«Dragon Well A» par http://www.chah.co.uk — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons –

La molécule active dans le thé vert* est l’EGCG, petit nom de l’Epigallocatéchine Gallate. Une molécule à laquelle on s’intéresse de près grâce à ses vertus sur le métabolisme, le système cardio-vasculaire et ses propriétés anticancéreuses. C’est un polyphénol une grande famille dont on a déjà parlé de nombreuses fois sur ce blog (ICI et LA).
On rappelle que les polyphénols regroupent l’ensemble des molécules 
très présentes chez les végétaux, qui possèdent plusieurs noyaux aromatiques où sont « branchés » une ou plusieurs fonctions « alcool » (groupe hydroxyle).

EGCG

Le polyphénol présent dans le thé vert : EGCG

* Le thé vert est plus concentré en ECGC que le thé noir qui lui a subi une fermentation.

Quel est donc le problème avec les compléments, extraits hydroalcooliques de thé vert pris dans le cadre d’un régime amaigrissant ?
Le procédé d’extraction des molécules actives par la voie hydro-alcoolique consiste à faire macérer pendant un certain temps, la plante finement divisée dans une solution mélange d’alcool et d’eau. Ce faisant, les produits solubles vont s’extraire de la plante et passer dans la phase liquide (ce qu’on appelle la lixiviation). La solubilité d’une molécule étant fonction de l’affinité qu’elle a avec le solvant, on comprend aisément qu’avec de l’alcool on obtient un dissolution différente généralement plus poussée, qu’avec de l’eau pure (même bouillante).
De plus, les conditions opératoires vont également jouer (concentration en alcool, rapport solvant/solide, temps de contact, température, pH …)

Un autre paramètre est également primordial : la biodisponibilité au sein de l’organisme (la fraction qui passera effectivement dans le sang, après ingestion). Sur ce point, la nature du solvant est un paramètre clé : il va agir en modifiant la structure des molécules.

Bref, cette forme d’extraction semble conduire à une forte concentration en EGCG. De sévères cas d’intoxication et de crise hépatique ont été rapportés [2] (taux particulièrement élevés d’enzymes hépatiques, transaminases, gamma GT, bilirubine). Ces cas, peu nombreux ont néanmoins été suffisants pour qu’en France et en Espagne, l’année 2003 soit marquée par l’interdiction de mise sur le marché de ces extraits. 

Quel est le mode d’action ?
C’est la prise en concentration élevée en EGCG concomitante au régime qui conduit à l’intoxication. La biodisponibilité de la molécule est généralement assez faible mais peut augmenter d’un facteur 5 à 10 lorsque l’organisme est en conditions de jeûne et en cas de prise répétée. C’est ainsi que le seuil de toxicité est atteint.
L’hépato-toxicité est vraisemblablement liée à la capacité de la molécule EGCG ou des molécules issues de sa décomposition à conduire à un stress oxydatif dans le foie [3]

En conclusion, la molécule EGCG agit par de nombreux mécanismes qui expliquent ses applications diverses (anti-cancéreux par exemple) mais l’ensemble des ces effets dépend des cellules cibles, de l’environnement, de la concentration [4].

Ce qu’il faut retenir de cet exemple, c’est que les compléments diététiques issus de plantes ne sont pas anodins et ne sont pas à prendre à la légère bien qu’ils soient en vente libre et donc l’objet d’auto-médication.

Alors méfiance avec les étiquettes « bio minceur »: il nous faut consulter pharmacien, médecin pour être sûr d’être dans le droit chemin. Un autre article à ce sujet ici et .

Les autres exemples

D’autres exemples ont été présentés, notamment celui du chardon à glu (Atractylis gummifera), une plante méditerranéenne… Certes sont aspect piquant ne va pas déchaîner les passions. Mais elle produit une substance qui ressemble à s’y méprendre à du chewing-gum (de plus la plante peut même parfois être confondue avec d’autres végétaux comestibles). La molécule active perturbe la respiration cellulaire et l’intoxication est assez souvent fatale.

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Le millepertuis est aussi une plante classique des rayonnages en phytothérapie  et on la retrouve aussi dans les boutiques de diététique en vente libre. Le souci est l’interaction médicamenteuse qui peut se produire avec des anticoagulants, et les contraceptifs oraux (lien ici)

Références :

1- Lee TC., « Van Gogh’s vision. Digitalis intoxication? », JAMA., 245(7), pp 727-9, 1981 (abstract)

2- Stevens T, Qadri A, Zein NN. « Two patients with acute liver injury associated with use of the herbal weight-loss supplement Hydroxycut ». Ann Intern Med.,142,pp477-8, 2005 PubMed Citation

3- Manzatti et al., « Hepatotoxicity from green tea: a review of the literature and two unpublished cases », Eur J Clin Pharmacol., 65, pp 331–341, 2009

4- Kim HS. et al, « New insights into the mechanisms of polyphenols beyond antioxidant properties; lessons from the green tea polyphenol, epigallocatechin 3-gallate », Redox Biology, 2, pp 187-195 , 2014

 

5 comments for “La consommation de plantes à des fins thérapeutiques

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