Chocolat vs. Alzheimer

Ce n’est pas la première fois que je parle de chocolat sur ce blog. C’est même la 3e, si je ne m’abuse… Mais quand on aime, on ne compte pas, n’est-ce pas ?

chocolat_coeurs
Bref, dans le premier épisode, « De la cabosse au chocolat« , il était question des différentes étapes du procédé permettant de passer du fruit du cacaoyer (la cabosse) au délicat chocolat qui titille nos papilles : fermentation, séchage, torréfaction pour favoriser les réactions de Maillard, broyages, chauffage, pressage, tempérage.

Dans un second épisode, « Chocolat : bon ou mauvais ?« , nous avions mis en lumière la théobromine, une des nombreuses molécules présentes dans le chocolat. Particulièrement forte dans le chocolat noir, sa concentration est comprise entre 450 et 1600 mg pour 100g de chocolat. Mimant la molécule d’adénosine, libérée dans le cerveau et toutes les cellules de l’organisme, la théobromine va faire interférence et provoquer pas mal d’effets reconnus dont un effet cardio-stimulant, antitussif.
Mais d’autres molécules du chocolat ont montré des effets bénéfiques sur le cerveau et son fonctionnement et font l’objet d’intenses recherches. Il s’agit des flavanols, qui selon certaines études, limiteraient le déclin cognitif et préviendraient les maladies neurodégénératives comme Alzheimer.

Les flavanols
Les flavanols, on en a parlé ou presque, il n’y pas si longtemps. En effet, dans cet article ici, les composants du chou rouge (des polyphénols) ont été décrits. 

Les polyphénols regroupent l’ensemble des molécules qui possèdent plusieurs noyaux aromatiques où sont « branchés » une ou plusieurs fonctions « alcool » (groupe hydroxyle). Ces molécules sont très présentes chez les végétaux et remplissent diverses fonctions secondaires telles que l’attraction des pollinisateurs, la défense contre les pathogènes, la répulsion des ennemis, la diffusion de parfums. Il n’est pas très étonnant d’en retrouver en quantité importante dans les fèves de cacao.

Parmi les polyphénols, lorsqu’on a deux cycles aromatiques, reliés par une chaîne de 3 atomes de carbone, pouvant se replier en hétérocycle (appelé alors « cycle C »), on entre dans la sous-famille des flavonoïdes.

Parmi les flavonoïdes,  on retrouve les flavanols : par exemple l’épicatéchine.

Epicatechin

«Epicatéchine» un flavanol présent dans le chocolat. Image par Shaddack, 2005. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons –

Rôle anti-oxydant des flavanols

De nombreuses études ont déjà mis en lumière le rôle important des flavanols dans la protection cardiovasculaire. Ils ont en outre un rôle anti-oxydant.
Le mécanisme d’action proposé par les chercheurs serait que les flavonoïdes agiraient en synergie avec des mécanismes anti-oxydants endogènes en piégeant les radicaux libres (produits d’une oxydation).
C’est grâce à leur groupes hydroxyles (-OH) attachés à un noyau aromatique que les catéchines peuvent fournir des H aux radicaux libres (molécules possédant un électron libre qu’elles cherchent absolument à coupler avec un atome d’hydrogène par exemple) et les neutraliser sous la forme d’hydroxydes.

Mais récemment, des recherches ont montré une action préventive des flavanols du chocolat de la maladie d’Alzheimer, la deuxième maladie la plus redoutée après le cancer. Comment agissent-ils ?

La maladie d’Alzheimer, de quoi s’agit-il ?

Voici quelques explications très succinctes (plus d’infos ici).
C’est une maladie neuro-dégénérative c’est-à-dire qu’elle provoque progressivement la mort de neurones. Elle met en jeu deux protéines qui se déposent et forment des agrégats soit à l’intérieur même des neurones, soit à l’extérieur.
En dehors des neurones, ce sont les protéines béta-amyloïdes (Aβ) qui posent problème notamment parce qu’elles s’agrègent en plaques (les plaques séniles). A l’extérieur, c’est la protéine Tau qui forme des filaments anormaux.

Alzheimer

Comparaison d’un cerveau âgé sain (gauche) et d’un cerveau touché par Alzheimer (droite)

Un petit tour plus en détails du côté de ces protéines.

La bêta-amyloïde est un peptide (une molécule plus petite qu’une protéine) constitué de 42 acides aminés. Elle n’est pas censée être présente dans le cerveau.Elle est issue de la coupure d’une plus grosse protéine (appelée protéine précurseur de l’amyloïde), présente dans la membrane neuronale. Cette protéine joue un rôle important dans la fabrication de synapses, la migration des cellules nerveuses (le fait qu’elles se réorganisent et se déplacent pour être actives au bon endroit – la plasticité en quelque sorte) et aussi d’autres aspects.
Chez une personne âgée, la protéine a tendance à se couper (par la présence de certains enzymes) pour donner naissance à des molécules Aβ en excès, adhésives.

Elles s’agglutinent entre elles et forment des plaques. Une fois celles-ci formées, elles bloquent la communication entre cellules nerveuses au niveau des synapses…
Cette hypothèse, qui se tient, est assez répandue mais elle fait encore néanmoins l’objet de débats au sein de la communauté scientifique.

plaques_amyloïdes

Plaques séniles, ou plaques amyloïdes, observées en fluorescence dans un cas de maladie d’Alzheimer.
Source INSERM/U837

La protéine Tau est une protéine qui s’assemble à d’autres congénères pour former une sorte de ciment déposé à l’endroit propice ce qui assure la stabilité et la flexibilité des fibres contenues dans l’axone d’un neurone (les microtubules) .

Chez une personne saine, les protéines Tau se détachent périodiquement, remplacées par de nouvelles et sont dégradées.
Chez une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, les protéines Tau se détachent beaucoup plus intensément et surtout, ne sont pas forcément éliminées. Elles stagnent donc sur place (à l’intérieur du neurone) en formant des filaments. Cela remet non seulement en cause le bon fonctionnement de la cellule nerveuse (la bonne transmission d’information le long de l’axone) mais le phénomène finit par « étouffer de l’intérieur » la cellule qui meurt.

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«La protéine Tau» par Zwarck —Neurone sain et maladeSource Wikipédia

Certains chercheurs pensent qu’il y aurait un lien entre les deux types de protéines lors qu’Alzheimer s’installe : une sorte de synergie entre les deux.

La protection du cerveau par les flavanols

De plus en plus d’études mettent en lumière le rôle des flavanols dans la lutte contre le déclin cognitif et notamment la progression de la maladie d’Alzheimer.
Ainsi, plusieurs tests en double aveugle ont été menés. Des personnes  ont été invitées à consommer des boissons plus ou moins riches en flavanols pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Il s’avère que leur performance cognitive a notablement été améliorée et ce, avec un effet dose-réponse. Bref, il semble bien y avoir un effet positif de ces polyphénols sur l’aptitude cognitive et la prévention du déclin.
Comment agissent-ils ?

Les mécanismes mis en jeu ?
Plusieurs modes d’action semblent agir en synergie.

L’analyse en IRMf des personnes ayant consommé des boissons riches en flavanols a montré non seulement une intensification de l’activité dans certaines zones du cerveau mais également un volume sanguin accru dans la zone du gyrus denté (structure du cerveau située au niveau de l’hippocampe impliquée dans l’apprentissage).
D’autres travaux mettent en avant une augmentation du flux sanguin dans la matière grise : or un lien a déjà été fait entre flux sanguin et capacité cognitive. Ce qu’on comprend assez facilement : une meilleure irrigation permet l’apport d’oxygène et de glucose aux cellules nerveuses et une excrétion des déchets, conditions sine qua non pour bien fonctionner de façon optimale.
Concrètement, que fait la molécule d’épicatéchine présente dans le chocolat (voir figure du haut)? Elle agit directement sur la paroi interne des vaisseaux sanguins et provoque la vasodilatation d’où l’amélioration du flux sanguin (notamment par son pouvoir anti-oxydant).

Concernant la maladie d’Alzheimer plus spécifiquement, une autre piste indique que les flavanols empêchent les Aβ de s’agglutiner et donc retardent la formation de plaques.

Un mécanisme mis en avant concerne également l’activation de certains gènes par l’épicatéchine. Les gènes en question sont associés à l’apprentissage dans l’hippocampe

D’autres processus semblent également à l’oeuvre : les flavanols perturberaient des signaux qui déclenchent la mort des neurones par apoptose (cellules qui déclenchent leur auto-destruction).

Bref, par le biais de différents modes d’action, l’épicatéchine du chocolat semble bien bénéfique pour le cerveau, même si de nombreuses recherches restent nécessaires pour conforter les résultats déjà acquis et comprendre plus en détail comment les processus sont imbriqués.

Alors, on se précipite sur le chocolat pour booster ses neurones?

Pourquoi ne pas allier plaisir et bénéfices sanitaires alors ?
Il faut agir avec prudence. On ne sait pas encore le  moment optimal dans la vie d’un individu où il faudrait accentuer la consommation de cacao pour profiter des effets bénéfiques contre le déclin cognitif. Et quel chocolat consommer ? Surtout que sur le marché, existe toute une gamme de délicieux chocolats mais dont le procédé de fabrication a pu diminuer sensiblement la teneur élevée des flavanols des fèves de cacao originelles tout en faisant grimper le contenu calorique.
Néanmoins à la lumière des connaissances actuelles, une consommation modérée d’un chocolat peu transformé est plutôt bénéfique. Sans compter qu’on peut l’associer à d’autres sources de flavanols : l’épicatéchine est également présente dans le thé, le raisin, les myrtilles… alors varions les plaisirs !

chocolate

Pour en savoir plus
http://www.pasteur-lille.fr/fr/etudier-et-comprendre/nos-avancees/la-maladie-d-alzheimer/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_d’Alzheimer
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_08/d_08_cl/d_08_cl_alz/d_08_cl_alz.html

Une chouette infographie sur la maladie d’Alzheimer Issue de la publication Les Défis du CEA n°178

Références des publications
« Cocoa Flavanols: Nutraceuticals with Promising Pharmacological Properties », Medscape (
Lien)

Brickman AM et al., « Enhancing dentate gyrus function with dietary flavanols improves cognition in older adults. », Nature Neuroscience, Vol 17(12), pp 1798-803, 2014 

Wang J. et al., « Cocoa extracts reduce oligomerization of amyloid-β: implications for cognitive improvement in Alzheimer’s disease. », Journal of Alzheimer’s Disease, Vol 41(2), pp 643-650, 2014

Nehlig A., « The neuroprotective effects of cocoa flavanol and its influence on cognitive performance », Br J Clin Pharmacology vol75(3), pp716–727, 2013 (lien)

9 comments for “Chocolat vs. Alzheimer

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