Ah le bronze !

La semaine dernière, avec mon fils (13 ans), nous nous sommes octroyés une petite balade sympa au musée de la piscine à Roubaix. Ce fut notre première visite de ce musée, et franchement, nous ne sommes pas déçus du déplacement, d’autant plus qu’une exposition temporaire consacrée à Camille Claudel (« Camille Claudel, Au miroir d’un art nouveau ») y est présentée jusque début février. Nous revînmes séduits par les nombreuses sculptures pleines de réalisme et d’émotions sublimées par ces matériaux qui s’y prêtent si bien : l’onyx et le bronze parmi ceux qui m’ont le plus marquée.

piscine
Bref, mon fils me demande ce qu’est le bronze et comment on en fait des sculptures ? Bon j’avoue qu’à part lui répondre qu’il s’agit d’un alliage à base de cuivre, je reste sèche. J’ai donc réalisé quelques petites recherches sur l’histoire de ce matériau, ses spécificités et sa microstructure. Comment celle-ci permet-elle d’expliquer les propriétés macroscopiques ?

valseurs

« Les valseurs » (Camille Claudel)

Qu’est-ce que le bronze ?
C’est un alliage ou pour être précise, une famille d’alliages à base de cuivre (Cu) et d’un autre métal : généralement de l’étain (Sn). Mais il peut y avoir quelques faibles pourcentages d’aluminium, zinc, plomb, phosphore.
Nous ne nous intéresserons qu’au bronze à base d’étain et sans éléments supplémentaires.
Les proportions généralement rencontrées dans les objets en bronze sont 85-90 % de cuivre et entre 5 et 15% d’étain : au-delà de 15 % le bronze devient trop dur et cassant (même si on monte un peu plus haut dans certains cas particuliers).
NB : le laiton, quant à lui, est un alliage cuivre et zinc.

Ses propriétés

Le bronze présente de bonnes propriétés mécaniques et chimiques ; assez dur sans être cassant, brillant, il offre une bonne résistance à l’usure et à la corrosion : mais ceci est variable selon la teneur en étain dans sa composition et la façon dont il a été élaboré.

C’est la raison pour laquelle, ce matériau est employé pour certains objets qui doivent résister à l’usure dans le temps, et à des environnements relativement agressifs :
– armes, outils, boucliers, monnaie (dans les périodes antiques)
– roulement à billes, pièces de moteur,
– cloches ou cymbales,
– petites pièces immergées des bateaux (hélices par exemple)

Le bronze plaît (a plu) aux sculpteurs car lorsqu’il est fondu, il coule facilement (température de fusion à 950°C* contre 1084°C pour le cuivre seul), s’encastre dans chaque petit anfractuosité du moule dans lequel il est coulé. De plus, il se patine avec le temps en se couvrant d’une couche un peu noire, qui séduit l’œil.

* Cette température de fusion, comme nous le verrons plus loin, dépend de la teneur en étain dans l’alliage.

Enfin, une précision importante : c’est un bon conducteur électrique (meilleur que l’acier).

Son histoire
La découverte du bronze remonte à la haute Antiquité, vers 3500 avant notre ère (quoique un site archéologique en Serbie prouve son existence en 4500 av JC) dans la vallée de l’Euphrate et du Tigre. Nos ancêtres avaient constaté qu’il était impossible de réaliser des objets en cuivre pur, ce métal s’étant avéré trop souple, peu résistant pour en faire des outils ou des armes.
Or un métallurgiste de l’époque, trouva judicieux d’ajouter (peut-être fortuitement) un peu d’étain au cuivre et les chauffa ensemble. Lors du refroidissement, un nouveau matériau est apparu, plus clair que le cuivre et surtout plus dur que les deux métaux parents. Des travaux étaient alors réalisés à petite échelle pour fabriquer des objets pour des usages locaux (tels que des poteries)

Un peu plus tard (1500 av JC), les Chinois redécouvrent la pratique et, jouant sur la proportion d’étain, ils trouvent la proportion idéale pour optimiser les propriétés mécaniques de l’alliage : 85 % de cuivre – 15 % d’étain. Il semble même que plus la teneur en étain est élevée, meilleure est la résistance à la corrosion.  D’ailleurs certaines armes en bronze, polies, d’origine chinoise, ont résisté à la corrosion pendant plus de deux millénaires, preuve que la maîtrise des proportions était présente.

Le bronze connaît également son heure de gloire au Moyen-Age (portes des églises et cathédrales) mais surtout à la Renaissance : la perfection dans le coulage et moulage, mais également dans la finition de surface, l’ornementation, le polissage sont atteints.

TsarCannon

Canon du Tsar en Bronze (coulé en 1586) (Kremlin – Moscou) – Réalisé par ChokoV

Après une petite perte de vitesse dans la production artistique (courant du 19e siècle), on retrouve un regain d’intérêt pour le bronze avec les sculpteurs naturalistes et impressionnistes tel que Rodin et Camille Claudel. Le bronze tantôt brut ou poli permet effectivement de sublimer les émotions, et d’avoir un rendu « vivant »

Depuis fort longtemps et actuellement encore, le bronze est très largement utilisé pour la fabrication des cloches et cymbales. Peut-on expliquer de quelle façon le bronze (d’une certaine qualité) donne-t-il des instruments de sonorité idéale ?
Plus généralement, peut-on expliquer l’ensemble de ses propriétés en regardant de plus près la façon dont se compose l’alliage, et la façon dont il a été élaboré ?

 Pourquoi un alliage présente-t-il de meilleures propriétés que les métaux purs ?
Le métal pur
Il faut donc commencer par le début et définir ce qu’est un métal. Un métal est un élément dont les atomes possèdent des électrons libres assez peu liés à leur noyau. Ils quittent donc l’atome parent et rejoignent d’autres électrons qui en ont fait autant : cette soupe ou ce nuage d’électrons partagés entre tous les atomes permet alors une bonne conduction électrique et thermique du matériau ainsi qu’un arrangement des atomes en une structure très régulière, ce qui maximise les forces de liaisons. On obtient un cristal quasi- parfait (en théorie).

metal_cristal

Représentation schématique d’un métal : une sacrée belle organisation

En réalité, on n’a pas affaire à un monocristal qui s’étend dans les 3 dimensions de l’objet (sauf dans des circonstances bien particulières) mais plutôt à une juxtaposition de toute une série de petits cristaux formés à partir de points d’ancrage (ou noyaux de condensation). On parle de grains, avec à leur frontière : des joints de grains.

grains_metal
Mais les liaisons entre atomes ne sont pas bien figées : elles sont plutôt délocalisées, ce qui fait que les plans d’atomes peuvent glisser les uns sur les autres : le métal se déforme facilement sans casser (il est ductile).

L’alliage
Lorsqu’un métal est fondu avec un autre, on se trouve à l’état liquide (forcément). L’agitation thermique est suffisamment forte pour vaincre les liaisons entre atomes de même origine et ils glissent les uns sur les autres favorisant des rencontres et des associations avec des atomes étrangers. Il est alors possible lors du refroidissement d’avoir une dissolution de certains atomes dans le réseau de l’autre élément. Tout cela dépend des caractéristiques (taille par exemple) et affinités des atomes en présence (dans certains cas, la solubilité d’un métal dans un autre est nulle).
Lorsque quelques atomes s’insèrent dans le cristal d’un autre (en se substituant ou s’ajoutant), on parle de solution solide. Mais comme on peut le voir sur la figure ci-dessous, on a une distorsion du cristal et l’arrangement régulier est modifié : le glissement est plus difficile. La conséquence directe à l’échelle macroscopique est une amélioration des propriétés mécaniques du matériau : notamment sa résistance augmente ; mais sa ductibilité (faculté à se déformer sans casser) diminue un peu et il faut trouver le bon compromis.

alliage_structure

Mais même lorsqu’il n’y a pas de solubilité d’un élément dans le réseau d’un autre, des modifications de structures peuvent être bénéfiques sur les propriétés mécaniques. Comment se fait la solidification d’un alliage ?

Au fur et à mesure du refroidissement, lorsqu’une phase solide se met en place, la phase liquide restant s’enrichit en l’autre composant du binaire, se sature et une nouvelle phase, juxtaposée à la première apparaît.
Il arrive aussi que les atomes en excès se glissent dans un phase déjà en place (phénomène de diffusion provoquant l’expansion) : certains phases disparaissent donc au profit d’autres. Des pores peuvent même apparaître au sein de l’ensemble.
Différentes phases forment alors de multiples grains qui cohabitent dans la microstructure de l’objet. Selon le nombre de phases, leur taille, leur forme, leur distribution, les propriétés macroscopiques vont être plus ou moins modifiées.

Mise en place de la microstructure

Pour aller un peu plus loin dans le détail et comprendre les différentes phases qui se  mettent en place au cours du refroidissement, les métallurgistes utilisent un diagramme de phases ou un diagramme binaire. Ce diagramme température fonction de la teneur des deux constituants, présente des lignes qui indiquent dans quelles conditions se forment (et sont stables), les différentes associations des deux éléments (les phases).
Voyons ce qu’il en est pour le binaire Cu-Sn.

Microstructure du bronze
Le diagramme binaire a l’allure suivante (même pas peur !)

Diagramme_binaire_Cu_SnLa ligne supérieure (« liquidus » : au-dessus de laquelle il n’y a que du liquide) indique la température de fusion du mélange, on y retrouve que plus la teneur en étain est élevée, plus le mélange sera fondu à faible température.

On remarque l’existence possible de différentes phases, c’est-à-dire différents types de cristaux ou de configurations où l’étain et le cuivre cohabitent  : α, β,γ, δ et ε.
Par exemple la phase δ est de composition Cu31Sn8, tandis que la phase ε est de composition  Cu3Sn.
Une bonne partie du diagramme correspond à la phase dite α riche en cuivre, de même réseau que celui du cuivre pur.  Dans cette phase, des atomes d’étain se substituent à des atomes de cuivre et « coincent » quelques déformations sans les bloquer complètement, ce qui rend l’alliage plus résistant. Cette phase α trouve de bonnes applications pour les pièces soumises à contraintes mais qui ne doivent pas « lâcher ».

On y remarque aussi que 15,8 %, correspond à la solubilité maximale de l’étain dans le cuivre. Entre 11 et 15,8 %, on voit apparaître une nouvelle phase : la phase δ qui, plus riche en étain (rapport Sn/ Cu plus élevé) s’avère dure et cassante. Mais dispersée en petits îlots au sein de la phase α, elle permet d’apporter encore plus de résistance à l’usure à l’alliage.
Au delà de 15,8 %, la phase δ prend naissance dès que la limite de 520 °C est franchie. Le bronze qui en résulte sera alors trop dur et trop cassant.  

Les différentes études sur la microstructure du bronze montrent généralement des dendrites creuses de phase α (sortes de branchages avec des ramifications) : fruit de l’accumulation des atomes dans des plans particuliers. Entre ces dendrites, les vides sont comblés par d’autres phases plus régulières. Mais ces formes (dendrites ou grains plus réguliers) sont également fonction de la vitesse de refroidissement de l’alliage.

microsctructure_bronze_b

Microsctructure du bronze : dendrites creuses, porosité interne (en noir) et phases alpha et delta
Source : Dr R F Cochrane, DoITPoMS, released under CC BY-NC-SA 2.0 license via http://core.materials.ac.uk/

Et alors ?

Les métallurgistes en se référant au diagramme, peuvent décider de piéger une phase (parce qu’elle est intéressante pour les propriétés de l’alliage) en refroidissant rapidement (on parle de trempe) ce qui fige la structure en l’état (la diffusion n’a pas le temps de se faire).
Une étape supplémentaire de chauffage (recuit) pourra aussi être nécessaire pour optimiser le résultat en permettant une diffusion contrôlée de certains atomes.

Un exemple frappant est celui de la fabrication de bronze aux propriétés sonores, utilisé pour les cloches, gongs et cymbales (amateurs de Zildjian, Sabian, le saviez-vous ?). Pour l’obtenir, une proportion élevée d’étain est requise bien au-delà des 15 % mentionnés plus haut (entre 22 et 25 %). Quid de la phase delta qui rend dur et cassant ? Elle se trouve éclipsée en piégeant par trempe la phase β qui apparaît dans de telles proportions (à partir de 798 °C, comme on peut le voir sur le diagramme).
Figurez-vous que la phase β est bien particulière : elle cristallise sous forme d’aiguilles et induit des qualités sonores à l’alliage. Pourquoi ? Cela reste encore un mystère (enfin pour moi) à éclaircir (peu de littérature sur le sujet). Peut-être peut-on suggérer qu’une onde sonore se propage mieux au sein d’une structure où des aiguilles qui s’entremêlent, forment des cavités : ces dernières agissent comme des caisses de résonance…et voilà notre son sublimé !

Cloche

Cloche de Vitrolles en Luberon

Bref, pour optimiser les propriétés d’un alliage, à fortiori le bronze, ce qui compte ce sont trois paramètres :
– la proportion des deux éléments,
– la vitesse de refroidissement,
– les conditions de recuit.

Bref, travailler le bronze : tout un art et une riche connaissance métallurgique !

Pour en savoir plus :

– http://www.copper.org/resources/properties/microstructure/cu_tin.html
– http://www.makin-metals.com/about/history-of-bronze-infographic/
Articles
Srinivasan S.,   » Megalithic and Continuing Peninsular High-Tin Binary Bronzes: Possible Roots in Harappan Binary Bronze Usage? », Trans Indian Inst Met, Vol 66(5–6):731–737, 2013

2 comments for “Ah le bronze !

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