Manger du poisson est-il bon pour notre cerveau ?

Bon, il faut vous dire, je ne suis pas du tout carnivore…je n’aime pas la viande, pour tout un tas de raisons (ça commence par le goût).
Par contre, le poisson, ça c’est bon ! Quand j’étais petite, ma mère me répétait que c’était bien pour le cerveau… surtout les sardines. Alors, d’abord pour lui faire plaisir, je me suis mis à en manger sans rechigner puis à aimer ça ! Je ne chercherai pas à savoir si mon cerveau fonctionne à son optimum, je vais juste me contenter de m’interroger sur les soi-disant bienfaits du poisson.
Que contient donc cet aliment qui soit si profitable au cerveau ? pourquoi ? est-ce prouvé par des études correctement menées ?
Quid des métaux lourds ?

DHA_cerveau1

Une histoire d’amour entre le poisson et le cerveau humain ?
Illustration Stefcomics

Les acides gras, c’est quoi ?
Evidemment, tout le monde a entendu parler des oméga 3, oméga 6 et oméga 9. Mais sait-on exactement ce qui se cache derrière ces termes, quels sont leurs similitudes, différences ? En quoi certaines de ces molécules sont-elles bonnes pour la santé ?

D’abord qu’est-ce qu’un acide gras ? Nous en avions parlé dans un très lointain article (ICI) mais un petit rappel ne fera pas de mal.

Un acide est un composé chimique qui possède un atome d’hydrogène (H) qui peut se désolidariser de la molécule, et passer en solution dans l’eau (c’est ce qui donne ce goût piquant sur la langue, lorsque nous mangeons du citron par exemple). La quantité d’atomes (H) sous la forme  « H+ » présents dans la solution, permet de caractériser le degré d’acidité, on le mesure par le pH.

Un acide carboxylique est un composé possédant la fonction C=O-OH (du carbone lié à de l’oxygène c’est-à-dire la fonction « carboxylique »). On écrit alors cet acide sous la forme R-COOH, R remplaçant n’importe quelle série d’autres atomes… généralement une chaîne carbonée.

Il y a des acides carboxyliques très répandus dans la nature, composants essentiels des êtres vivants, notamment ceux possédant une chaîne carbonée longue, voire très longue : ce sont les acides gras

Un exemple d’acide gras : l’acide palmitique, l’un des plus courants dans le règne animal et végétal, avec 16 carbones. On le retrouve dans l’huile de palme (qui a fait couler de l’encre) mais aussi dans plein d’autres aliments (viande, beurre, fromage…)

Acide palmitique

On dit que cet acide gras est saturé, pour la simple raison que, comme on le voit sur la figure, tous les atomes de carbone sont « saturés » en hydrogène, donc toutes les liaisons sont simples ce qui donne à l’ensemble une certaine linéarité (car peu d’encombrement)

Un acide gras « insaturé » est à contrario, un acide où certains atomes de carbone ne font pas le « plein » en atomes d’hydrogène : certains carbones sont contraints de s’associer entre eux (pour obtenir la dose idéale d’électrons, et se sentir bien, car « stables »). La principale conséquence : des doubles liaisons apparaissent. Oui, mais,de ce fait, des contraintes voient le jour, parce que des doubles liaisons font prendre plus de place aux électrons : un effet d’encombrement restreint la mobilité des atomes de la molécule.

Comment va s’arranger dans l’espace la molécule qui possède une (« monoinsaturé ») ou plusieurs « doubles liaisons » (on parle de « polyinsaturé ») ? Elle va prendre une configuration dans laquelle les répulsions seront minimales et différents cas de figures sont possibles : former des coudes (appellation « cis »), ou rester linéaire (appellation « trans »)

Liaison double (au centre), signe d’une insaturation, induit plusieurs configurations spatiales

En général, au sein d’un organisme vivant, les acides gras, on les retrouve soit tous seuls, soit associés dans d’autres molécules telles que les triglycérides, des sortes de « peignes à trois dents » : chacune des dents est un acide gras. On peut les retrouver aussi dans les phospholipides : ces derniers constituent les membranes des cellules avec un tête hydrophile et deux queues hydrophobes qui sont des chaînes d’acide gras.

Phospholipid

Structure d’un phospholipide : tête hydrophile (1), et deux queues formées par des acides gras (2)

L’importance de la forme des molécules
Comprendre (du moins dans les grandes lignes) « la forme » de ces molécules et le nombre d’insaturations des acides gras, va permettre de mieux saisir certaines propriétés physico-chimiques des structures qu’elles constituent.

Ainsi, des chaines linéaires saturées, vont pouvoir s’aligner les unes contre les autres, et s’associer en certains sites particuliers par des liaisons de faible énergie : tout ceci va former des sortes de réseaux, qui rendront le composé qu’ils constituent plus visqueux et rigides … C’est le cas du beurre, plus « solide » qu’une huile.
Plus la molécule est insaturée (notamment avec des configurations « cis » ; c’est le cas de celles qui sont synthétisées naturellement), plus on gagne en fluidité : la formation de réseau dense est moins facile à cause des chaînes coudées.
Des membranes biologiques constituées de nombreux acides gras saturés seront donc beaucoup plus rigides et moins perméables (molécules plus serrées). Cette propriété de perméabilité est importante car il va en découler une capacité plus ou moins grande à laisser passer les cations biochimiquement actifs (sodium, potassium) ou encore à protéger le tissu de l’entrée d’intrus (bactéries, virus).

lipid_membrane

En haut : la membrane est plus dense, moins perméable
En bas : panachage entre acides gras saturés et insaturés, la membrane est plus souple et plus perméable

Autre différence notable : un acide gras insaturé aura également une sensibilité accrue à l’oxydation : l’oxygène de l’air, par exemple, pourra facilement se fixer au niveau de la double liaison. La conséquence en est une dégradation du produit (rancissement des graisses).
C’est la raison pour laquelle, pour une meilleure conservation, une meilleure consistance d’un produit destiné à la consommation, les industriels essaient de limiter l’insaturation et procèdent à une hydrogénation partielle.

Les acides gras essentiels, et la nomenclature « Oméga »

Il est intéressant de repérer la position de la (ou les) double(s) liaison(s). Pour cela, les carbones sont comptés en commençant par l’extrémité (côté opposé à la fonction « acide »), c’est-à-dire le DERNIER carbone. La dernière lettre de l’alphabet grec s’appelant « Oméga » ω, c’est le nom attribué au dernier carbone.
NB : le carbone situé à l’autre extrémité, est donc le « premier » nommé alpha α

alphabet_grec

Ainsi, si la première insaturation ou « double liaison » concerne le 3e carbone en partant de l’extrémité (donc le dernier carbone, dit « oméga »), on aura affaire à un acide gras Oméga 3
Si la double liaison concerne le 6e carbone, il s’agit d’un acide gras oméga 6.

Certains acides gras oméga 3 et 6, sont appelés essentiels, car à la différence d’autres acides gras saturés ou monoinsaturés, l’homme ne peut les fabriquer à partir d’autres molécules (sucres et protéines) : ils doivent donc forcément être apportés par un apport extérieur ce qui rend l’alimentation particulièrement importante.

Ci-dessous deux exemples, non choisis au hasard, de deux acides gras oméga 3 et oméga 6

DHA

Un acide gras essentiel, noté DHA, polyinsaturé, avec la première insaturation en position 3 : c’est un oméga 3

AA

Acide arachidonique : acide gras polyinsaturé, c’est un oméga 6

A quoi servent les acides gras ω3 (seuls ou associés) dans l’organisme humain?

Comme nous l’avons vu, de nombreux acides gras sont utilisés pour constituer les membranes de certaines cellules (dont ils affectent la fluidité, flexibilité et perméabilité). Mais les ω3 ont des propriétés et donc des effets biologiques qui les distinguent des autres acides gras.
Ils jouent ainsi plusieurs rôles tels que l’aide au bon fonctionnement des systèmes cardiovasculaire, cérébral, hormonal et inflammatoire (ils affectent l’activité de certaines enzymes). Des études indiquent que les oméga 3 et oméga 6 modulent l’expression de certains gènes [d].

Des études épidémiologiques longitudinales ont révélé une corrélation entre des concentrations faibles en DHA et le risque de survenue de problèmes d’ordre neurologique et cognitifs chez les enfants [e]. A contrario, une supplémentation en DHA en bas âge stimule l’activité cérébrale dans la zone préfrontale (cette étude [h] l’a prouvé par IRMf). C’est la grande longueur de la chaîne, et l’insaturation en position 3 qui confère à ces molécules leurs spécificités.

Cas du DHA (oméga-3)
Le DHA, c’est l’Acide DocosaHéxanoïque, une chaîne à 22 carbones, oméga trois possédant 6 insaturations toutes en configuration « cis » : la molécule est particulièrement « courbée », comme une hélice.

DHA

La complexe molécule DHA (un oméga-3)

On le trouve en forte concentration dans les cellules de la rétine et dans la matière grise du cerveau, notamment dans les membranes neuronales, dans les jonctions synaptiques entre neurones, dans les cellules gliales (environnement des neurones). Il joue un rôle au niveau du système immunitaire (régulation de l’inflammation) et également dans la mobilité des spermatozoïdes (en particulier leur capacité à s’arrimer à l’ovocyte : le DHA est présent dans l’acrosome, la partie antérieure du spermatozoïde).

Bien qu’on ne sache pas encore très bien les différents modes d’action de la molécule, il semble que  DHA agisse grâce à sa grande flexibilité ; celle-ci lui permet de modifier sa forme avec des transitions très rapides d’une configuration à une autre (ceci est dû la présence des doubles liaisons en cis, qui alternent avec des carbones saturés) [c]. Le DHA s’intègre dans les membranes des cellules sous la forme de phospholipides : de cette façon, les propriétés physico-chimiques et biochimiques des membranes se modifient [a] . Une des particularités du DHA est également de pouvoir interagir avec d’autres membranes, par exemple le cholestérol.

Des membranes riches en DHA qui se modifient facilement, et alors ?
Lorsque les membranes des cellules subissent des contraintes mécaniques fortes (c’est le cas de la croissance des axones de nos neurones, ou pour les cellules contractiles du coeur), il y a toujours un risque de voir se produire des déséquilibres, ou des dysfonctionnements métaboliques. Il semble que le DHA, par sa faculté à se déformer facilement, puisse jouer un rôle tampon permettant aux cellules de mieux s’adapter aux modifications dues à des contraintes mécaniques (étirement par exemple). C’est important pendant les périodes de croissance : chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent ou lorsque la plasticité cérébrale doit être activée de façon intense (réparation après un traumatisme).
On peut ajouter qu’en apportant de la flexibilité aux membranes neuronales, la communication est meilleure, la compréhension du monde extérieur et la résolution de problèmes sont boostées : bref la performance cognitive est optimisée .

De même, au niveau des cellules contractiles du cœur, des niveaux de DHA augmentent linéairement avec la fréquence des battements cardiaques. Les cellules résistent ainsi mieux aux contraintes dues aux battements. Ceci explique sûrement pourquoi un bon taux de DHA diminue les risques d’arythmie.

Concernant les spermatozoïdes, ils ne sont « efficaces » que si l’acrosome est riche en DHA.
acrosomeEn effet, l’acrosome se forme par fusion d’une multitude de vésicules. En cas de déficit en DHA, la fusion ne se produit pas et la forme conique du spermatozoïde n’apparaît pas. Difficile de pénétrer un ovocyte dans ces conditions.

Enfin, des membranes riches en DHA, donc plus flexibles, c’est également utile pour gérer la pression sanguine (diminution des risques d’hypertension).

Outre ces propriétés d’aide à la plasticité membranaire, citons la particularité du DHA de se lier, plus que les autres, sur des sites précis de certaines protéines. C’est ce qui explique que la molécule soit capable de réguler l’expression de certains gènes et d’avoir une action anti-inflammatoire [d].

NB : les quelques mécanismes d’action du DHA présentés ici, ne sont pas exhaustifs 

Où le trouver ?
Les acides gras polyinsaturés ne sont produits que par les plantes et le phytoplancton mais ils sont nécessaires à de nombreux êtres vivants, et se retrouvent via la chaîne alimentaire chez de nombreux mammifères et poissons. Le DHA peut être synthétisé à partir d’un précurseur (également acide gras oméga 3) : l’acide alpha-linoléique (AAL). Des processus de désaturation et d’élongation conduisent au DHA (mais pas seulement). Mais cette conversion est relativement inefficace, et très variable d’un individu à l’autre (cela dépend beaucoup du sexe -taux de conversion plus élevé chez la femme- mais aussi de différences génétiques). La seule solution pour obtenir une teneur suffisante en DHA est d’en absorber via l’alimentation… et le poisson gras en contient de grandes quantités.
Mais on peut aussi en trouver dans les noix, le colza, le soja et le lait maternel (voir ici).

Quid des oméga-6 ?
Comme nous l’avons vu, les oméga-3 s’incorporent assez bien dans les phospholipides des membranes cellulaires de certains organes . Les oméga-6 s’intègrent eux aussi dans de nombreux tissus. Mais un bon équilibre oméga 3 et 6 est nécessaire parce que:
–  certains ω3 régulent certains ω6 (cas du DHA envers l’acide arachidonique)
– les excès d’acides gras ω6 entrent en compétition avec les acides gras oméga-3 et peuvent empêcher que les effets bénéfiques de ces derniers se manifestent (lien).

L’agence ANSES préconise de ne pas dépasser un rapport de 4 entre les apport ω6/ω3 (voire un rapport de 2 pour la prévention de maladies chroniques chez les personnes âgées).

Enfin, pour celles et ceux  qui (comme moi), ont peur du vieillissement de leur cerveau, sachez qu’un déficit en DHA ou un excès d’acide arachidonique est observé chez des personnes souffrant d’Alzeimer. Je ne sais pas s’il y a causalité ou juste corrélation, mais je me dis que le conseil de ma maman de consommer du poisson est toujours d’actualité.

Et les métaux lourds dans tout cela ?
Bien sûr quand on pense à la consommation de poisson, on ne peut s’empêcher d’évoquer le problème du mercure, un neuro-toxique lorsqu’il est absorbé à haute dose sous forme organique (méthylmercure CH3Hg). Bien sûr, la valeur seuil à partir de laquelle les risques augmentent est plus basse chez l’enfant, encore plus chez le nourrisson ou le fœtus. Bref, on est en droit de se poser la question. Le suivi d’enfants de certaines populations dont la consommation de poisson est élevée, a mis en évidence que des précautions sont effectivement à prendre (dont éviter les excès chez la femme enceinte pour certaines catégories de poissons). [f]
Tout d’abord, comment ce mercure se retrouve-t-il dans le poisson ? Émis dans l’atmosphère (processus naturels ou industriels), il se dépose sur les sols et se trouve emporté par les pluies jusqu’aux cours d’eau et jusqu’à la mer.
Ionisé, le mercure s’acoquine avec du carbone (action du phytoplancton, et des bactéries sulfato-réductrices) ce qui conduit à du mercure organique absorbé par les petits poissons, mangés par de plus gros.
Donc plus le poisson est en bout de chaîne alimentaire, plus les risques seront accrus : il est prudent de les consommer avec modération.

Cependant la plupart des études concluent dans le sens que les bénéfices (liés au DHA,oméga-3) dépassent les risques (liés au méthylmercure) surtout pour les sardines et les maquereaux.

 

DHA_cerveau2

Le poisson c’est bon pour le cerveau
Illustration StefComics

Références :

a-  Stillwell W, Wassall SR, « Docosahexaenoic acid: membrane properties of a unique fatty acid. » Chem Phys Lipids,  Vol 126(1), pp 1-27, 2003
b- Smith D.H., « Stretch growth of integrated axon tracts: Extremes and exploitations », Prog Neurobiol, vol 89(3), pp 231–239., 2009 (lien)
c- Gawrisch K., et al., « Insights from biophysical studies on the role of polyunsaturated fatty acids for function of G-protein coupled membrane receptors »
d- Deckelbaum R., « n-3 fatty acids and gene expression », Am Jounral Clin Nutritiion vol 83 (6), pp 1520-1525, 2006
e- Montgomery P, « Low blood long chain omega-3 fatty acids in UK children are associated with poor cognitive performance and behavior: a cross-sectional analysis from the DOLAB study. », PLoS One. Vol 8(6 2013
f- Gideon Koren, « Fish consumption in pregnancy and fetal risks of methylmercury toxicity », Canadian Family Physician,  Vol 56, 010
g- Oken E., Bellinger D., « Fish consumption, methylmercury and child neurodevelopment », Current Opinion in Pediatrics Vol 20 (2), pp 178–183, 2008
h- McNamara. R., « Docosahexaenoic acid supplementation increases prefrontal cortex activation during sustained attention in healthy boys: a placebo-controlled, dose-ranging, functional magnetic resonance imaging study », American Journal of Clinical Nutrition, Vol 91(4), pp 1060-7, 2010

Pour en savoir plus :

http://lpi.oregonstate.edu/infocenter/othernuts/omega3fa/

Cliquer pour accéder à DHA%20EFSA.pdf

Cliquer pour accéder à fatty_acids.pdf

http://ajcn.nutrition.org/content/83/6/S1520.full

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