Histoire de gorges et de chutes d’eau

Pendant ces dernières vacances, j’ai eu l’opportunité de me balader du côté des Gorges du Verdon. Quel spectacle étourdissant que ces falaises vertigineuses formées au-dessus du cours d’eau ! Evidemment, la question qui se pose est : comment la nature a-t-elle réussi à engendrer de tels paysages ?
Je vous propose de plonger, non pas dans les gorges mais dans quelques-uns des processus physico-chimiques, géologiques (un tout petit peu) mis en jeu dans l’élaboration de ces anfractuosités naturelles.

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Quels sont les facteurs qui interviennent dans ce phénomène ? Parmi les principaux, citons :
– la nature des sols (on s’en doutait),
– la présence d’eau (on s’en doutait aussi) mais aussi son contenu en CO2 dissous,
– les mouvements de sol dus à la tectonique des plaques (ce phénomène intervient souvent mais pas toujours)
– le temps, on parle plutôt en centaines de millions d’années (quoique que nous verrons un exemple de formation de gorges qui n’a nécessité que quelques mois)

Qu’est-ce qu’une gorge ?
Il s’agit d’un passage étroit entre deux reliefs. C’est l’érosion hydraulique d’une roche qui explique un tel paysage. Pour que l’érosion se produise, plusieurs conditions sont nécessaires :
– une vitesse du cours d’eau suffisamment élevée pour assurer l’érosion (qui s’accompagne souvent d’une dissolution),
– une roche qui offre une faible résistance mécanique (pour l’érosion) et chimique (pour la dissolution) : le calcaire offre ces deux caractéristiques.

Les gorges sur un sol calcaire, mais d’où vient-il ?
Pratiquement toutes les gorges sont localisées sur des terrains en calcaire.
Du calcaire, c’est principalement de la calcite (CaCO3) : un carbonate de calcium, avec quelques petites inclusions de silice ou d’argile (alumino-silicates), et quelques éléments organiques.

D’où viennent ces éléments ?
Principalement d’anciens êtres vivants dont le squelette est à base de calcite.
En effet, le calcaire est une roche sédimentaire formée par le dépôt progressif au fond des mers de coquillages, de squelettes ou exo-squelettes d’animaux marins (poissons, coraux, oursins…), de micro-algues. La pression et le temps agissent de concert pour rendre ces sédiments accumulés sur de longues périodes, compacts : le calcaire est le fruit d’un tassement des sédiments et de réactions chimiques qui lient les éléments.

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Une autre source de calcaire est la précipitation d’éléments dissous dans l’eau : ce phénomène est lié à des modifications locales de température ou de teneur en CO2 dissous (l’activité bactérienne en produit,  un phénomène de dégazage en extrait) et à la présence des autres sels dissous.

Rappelons-nous de la cafetière qu’on détartre avec du vinaigre : une trop grande quantité de CO2 (donnant l’acide carbonique) dissout le calcaire (sens 1 de la réaction ci-dessous qui donne alors des ions calcium et bicarbonates) ; au contraire, trop peu de CO2 favorise le dépôt (sens 2 de la réaction)

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Après le retrait de la mer (principalement à cause des mouvements des sols), il nous reste les vestiges de ces anciens sédiments : une roche calcaire avec souvent des traces du passé marin (les fossiles).

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Calcaire et traces d’anciens organismes marins –source

Pourquoi le calcaire est-il propice à l’apparition d’une gorge?

La calcite est un minéral alcalin (c’est-à-dire qu’il a tendance à attirer les éléments acides et réagir avec eux en « disparaissant » sous sa forme solide). Donc si l’eau est légèrement acide (présence de H+), la calcite va se dissoudre pour donner du calcium (sous forme d’ions) et des bicarbonates (HCO3-) qu’on retrouvera dans l’eau. On retrouve le sens 1 de la réaction ci-dessus.

En conclusion, un cours d’eau légèrement acide qui circule sur un sol calcaire aura tendance à le dissoudre. C’est le cas lorsque du CO2 est présent dans l’eau (il y a alors apparition de l’acide carbonique). Ceci est dû à l’absorption du CO2 de l’air ou à la production de CO2 d’organismes présents dans l’eau (fermentation ou respiration) ou encore celui produit par la végétation du sol.

Mais la dissolution chimique est intimement mêlée à l’hydrodynamique du cours d’eau. Ainsi, d’un point de vue purement physique, l’eau va :
soit percoler dans les fissures et minuscules trous de la roche et y séjourner plus longuement : la dissolution en sera facilitée. La structure qui en résulte sera fragilisée, accentuant la turbulence du courant d’eau : l’érosion mécanique sera accentuée. Des petits morceaux de roche 
abrasifs peuvent également se détacher et renforcer l’érosion.

soit s’écouler et ruisseler plus ou moins rapidement selon la pente : la turbulence provoquera également plus facilement l’érosion de la roche.

Les Gorges du Verdon : le film (version simplifiée)
Les Gorges du Verdon sont très profondes (entre 250 et 700 m de profondeur). Plusieurs phénomènes se sont succédé pour parvenir à un pareil résultat.
Le début du film remonte à la période de Trias (Ère secondaire), il y a 250 millions d’années, le Sud-ouest de la France (Provence actuelle) s’effondre et se trouve recouverte par la mer. Il en résulte d’importants dépôts sédimentaires qui durent jusqu’à la période du Jurassique (période suivant le Trias entre -200 et -135 Ma). Le climat chaud favorise le développement des coraux (même s’il existe aussi des coraux en mers froides) qui apporteront leur dose de calcaire* (exosquelette). On parle des calcaires blancs de Provence qui forment le plan de Canjuers.
* Il y a d’autres roches présentes dont la marne (un mélange de calcaire + argile)

Pendant le Crétacé (période suivant le Jurassique entre -135 et -65 Ma), des mouvements tectoniques font remonter le sol  :  la mer se retire légèrement vers le Sud et le calcaire apparaît avec ses zones de fragilité (failles)

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Dans la première partie de l’ère Tertiaire (-de 65 Ma à -25 Ma), la forte activité tectonique provoque le soulèvement des Alpes : les forces de pression induisent des mouvements ascendants des sols ce qui fracture le calcaire là où il était le plus fragile (fissures). Des plis et d’immenses failles apparaissent (début de la formation des gorges). Ces jeux de terrain crée des pentes, ce qui fait reculer la mer encore plus au Sud.

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A la fin du Tertiaire, le refoulement de la mer vers le sud est achevé : il a fait naître de nombreux torrents aux débits impressionnants (vitesse et turbulence !).

Ainsi apparaît le Verdon dans son lit de calcaire ; son débit est élevé ce qui favorise l’érosion/dissolution du sol comme expliqué dans les paragraphes précédents : les crevasses s’amplifient créant des gorges.

Mais ce n’est pas tout. Au quaternaire, commence la période de glaciation (glaciation de Würm) les cours d’eau se transforment en fleuves de glace. A la déglaciation, le débit du Verdon est très élevé : le lit se creuse encore.

Et actuellement ?
Ce n’est pas encore terminé. L’érosion mécanique se poursuit dans le fond du canyon (là où il est le plus étroit, et la pente la plus marquée). Les conditions y sont favorables (environ 40-50 mm se dissolvent sur une période de 100 ans).
On a pu observer par exemple la formation de concrétions sur certaines parois consécutives à la dissolution de zones situées à l’aplomb (recristallisation d’un côté après dissolution de l’autre).

En conclusion : ce ne sont que les grandes lignes des aspects géomorphologiques autour du Verdon. Bon nombre d’hypothèses restent à valider. Retenons simplement que le sol calcaire, l’eau chargée en CO2 dissous, le plissement de la croûte terrestre et les mouvements de la mer ont été les ingrédients nécessaires à l’élaboration de ce paysage. Tout cela a demandé beaucoup de temps…c’est le moins qu’on puisse dire.

Des gorges formées plus rapidement ?
Oui, il est possible de voir apparaître des gorges sur des laps de temps très courts. C’est le cas par exemple de Canyon Lake Gorge au Texas qui s’est formé en 2002 suite à une simple (mais catastrophique) inondation (1900 m3/s pendant 6 semaines). L’excavation du lit de la rivière a conduit à la formation de chutes d’eau, de terrasses et de gorges.

Autres paysages liés à l’action de l’eau sur du calcaire
* Les chutes d’eau
Lorsqu’un cours d’eau s’écoule sur une roche dure qui se trouve sous une couche de sol sédimentaire calcaire, un phénomène d’érosion/dissolution « grignote » progressivement le calcaire dès que celui-ci affleure.
Là où l’érosion est la plus intense, la pente est plus accrue, la vitesse de circulation de l’eau augmente : le phénomène s’auto-accélère 

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Une encoche finit par se former dans le calcaire et ne fait que s’agrandir. La roche dure, moins bien soutenue est plus fragile et s’effrite. Les petits morceaux qui se détachent accentuent encore la turbulence du cours d’eau et l’érosion des sols : la chute d’eau apparaît.

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* Les grottes
Enfin, si l’eau chargée de CO2 s’infiltre dans un sol jusqu’à y rencontrer du calcaire, il peut y avoir dissolution progressive de la roche et des grottes sont formées.

Pour en savoir plus

* http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/dossiers/d/chimie-cristallographie-chimie-calcite-586/page/2/#comments
* http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medit_0025-8296_2004_num_102_1_3335
* http://canyongorge.org/

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