Le développement du langage chez l’enfant

Dans un précédent post, j’évoquais la perception des autres chez le bébé (voir une synthèse ICI),et le rôle clé joué par les neurones miroirs : des neurones qui s’activent, lorsque nous regardons avec attention les faits et gestes d’autrui,  comme si nous exécutions nous-mêmes les actions que nous sommes en train d’observer. Les neurones miroirs connectés à de nombreuses parties du cerveau donnent naissance à l’empathie. Celle-ci fut jadis, une condition nécessaire à la cohésion et la survie du groupe. Elle reste aujourd’hui importante pour le développement de l’enfant et son épanouissement à chaque étape de sa vie.
Bref, continuant mes lectures sur les neurones miroirs, je me rends compte qu’ils jouent également un rôle important dans le développement du langage.
La rapidité à laquelle les enfants acquièrent le langage est un des mystères des facultés cognitives humaines. Alors cela vaut le coup de s’y pencher un peu, non ? Où en sont les recherches sur le sujet ?

baby-Sign-Language

Source ICI

Tout d’abord, qu’est-ce que le langage ?
Et bien visiblement, ce n’est pas si facile que cela à définir d’après Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France qui a consacré de nombreuses recherches et livres à ce sujet. Il adopte la définition d’un linguiste du XXe siècle (R. Ossipovich Jakobson). Ainsi, selon lui, le langage ne vise pas seulement à délivrer une information, mais aussi à agir sur l’autre, traduire une émotion ou atteindre le beau… pour résumer très succinctement.

Le langage : point de vue évolutionniste et implication des neurones miroirs
Cette approche est développpée dans le livre « De l’action au langage via le système des neurones miroirs » dont un bon extrait est disponible ICI. Publié en 2006. il s’agit d’une synthèse de différentes connaissances autour d’experts en linguistique, neurosciences, primatologie, développement de l’enfant… Bref, l’idée centrale est l’hypothèse du système des neurones miroirs introduite en 1997 par des italiens (Arbib et Rizzolatti) permettant d’expliquer les mécanismes cérébraux impliqués dans le langage. Ces neurones particuliers (qui « s’allument » autant quand on agit que lorsqu’on voit quelqu’un d’autre agir) sont présents dans différentes parties du cerveau et en particulier dans l’aire de Broca (région située dans l’hémisphère gauche), une zone généralement considérée comme associée à la production du langage chez l’homme.
Il semblerait que ce système se soit mis en place au travers de l’évolution des espèces : l’évolution vers le langage tel qu’on le connaît se serait fait grâce aux neurones miroirs mais pas n’importe lesquels, ceux impliqués dans la préhension donc à priori non conçus au départ pour « parler ».

baby_main

Source ICI

Pourquoi ? Les auteurs expliquent que le système d’imitation complexe des mouvements des mains a permis le développement de l’habileté manuelle conduisant à l’émergence de protosignes, une communication basée sur la gestuelle, favorisant la cohésion du groupe, la transmission de compétences. De ces capacités à maîtriser la communication manuelle, précurseur du langage, puis à contrôler l’appareil vocal sont nés la communication vocale et le langage.

Le développement de l’enfant est un peu comme une évolution en vitesse accélérée… A la naissance, on parle  d’ailleurs de réflexes » archaïques »: le petit d’homme agrippe à sa mère, ne parvient à dominer son corps que petit à petit, observe beaucoup, imite, commande peu à peu ses mains, ses pieds, la préhension, puis progressivement (et parallèlement) le langage. Bref, j’ai tendance à dire que lorsque bébé a franchi l’étape de la préhension, il a également préparé le terrain pour son futur langage !

talkSource ICI

A l’âge adulte, ne gardons nous pas quelques restes de cette apprentissage qui passe par le mouvement des mains ? Andrew Bass travaille sur les origines de l’utilisation des mains lorsque nous parlons.  Il a montré que cette gestuelle des mains pour ponctuer nos discours avait une origine évolutive. Ce chercheur a en particulier révélé que chez les poissons, une région du cerveau contrôlant le mouvement des nageoires (ancêtres de nos bras/mains) était aussi impliquée dans la communication.

De l’importance de l’environnement
Une autre étude plus récente (2009) vient apporter un peu d’eau au moulin dans la compréhension du développement du langage. Les auteurs montrent que le développement de l’intelligence et l’acquisition du discours sont fortement impliqués dans des processus sociaux. On s’en doutait un peu, mais dans quelles mesures ? Tout comme le chant des oiseaux (conforté par une étude récente de juin 2013) qui devient mature selon les réactions de leur environnement social (mère, partenaire), les essais de vocalise des bébés sont encouragés par les réponses de leurs proches. Selon les réactions de ses parents ou toute autre personne proche de l’enfant, un processus d’imitation va s’enclencher (neurones miroirs encore une fois) et les formes de vocalisation du petit vont se modifier, se corriger, complexifier.

oiseaux
Les parents sont généralement réactifs et leur réponse est instinctivement très adaptée. Les pleurs provoquent des réponses très rapides (voir ICI). Les auteurs ont noté que plus le répertoire vocal des enfants s’élargit, plus les parents complexifient leur réponse, apportant ainsi un « échafaudage linguistique » sur lequel s’appuyer.
Lorsque l’enfant a bien avancé dans son apprentissage, les auteurs évoquent aussi comment rendre plus efficace l’acquisition de nouveaux mots ou verbes. Il s’avère  que pour introduire de nouveaux concepts, il soit préférable de le faire régulièrement à différents moments (étalés dans le temps) que de répéter un mot plusieurs fois dans une unique session interactive.

Donc réagir avec enthousiasme lorsque l’enfant pleure, babille, expérimente, ne rendra pas votre enfant capricieux et dépendant de vous : c’est au contraire, répondre de façon adaptée à son besoin d’interaction pour se former et apprendre le langage.

Les mécanismes mis en jeu pour l’apprentissage (inné ou acquis)
D’après ce qui a été évoqué juste avant, l’environnement joue un rôle clé, les neurones miroirs ne s’activent que si l’environnement est riche. Donc la part d’acquis est bien présente. Mais n’y a-t-il pas une sorte de précablage présent dès la naissance qui permettent un apprentissage facile ?  Parce que tout de même, çà va quand même très vite.
Des techniques non invasives de mesure de l’activité cérébrale de nouveaux nés, ont en effet montré que dès la naissance, les zones du cerveau qui s’activent lorsqu’on fait écouter des sons aux tout petits sont les mêmes que chez les adultes (voir ICI). Ghislaine Dehaene nous cite « Le cerveau du nourrisson n’est décidément pas une cire molle attendant d’être façonnée par le monde extérieur. Il est structuré en régions fonctionnelles qui vont l’aider dans on apprentissage« .

Neurogénèse : Source ICI

Enfin je terminerai, sur ce que nous enseignent les linguistes. Car si côté moyens, l’enfant semble bien équipé, y a -t-il quelque information à glaner côté de l’organisation d’une langue, qui expliquerait que l’apprentissage se passe au mieux?
Plusieurs chercheurs pensent en effet, que les langues multiplient les structures que les cerveaux humains sont le mieux à même d’apprendre. Ce qui suggère l’idée que le langage humain a été sculpté par les contraintes imposées par l’apprentissage. Des expériences ont été menées sur des enfants de 12 à 13 mois à qui on voulait enseigner une langue artificielle possédant une grammaire (des relations de dépendance entre certains mots, du genre article + nom) d’une part puis une langue sans grammaire d’autre part (des mots juxtaposés sans lien entre eux).
Après seulement quelques minutes d’exposition à une langue artificielle simple avec grammaire, les enfants étaient capables de repérer parmi plusieurs autres, des phrases de la langue écoutée (phrases différentes de celles entendues pendant la phase d’apprentissage) car ils avaient repéré les indices de relation entre les mots.
Après une exposition plus longue (20 minutes) à une langue artificielle complexe (plusieurs milliers de phrases possibles), les même types de test que précédemment étaient brillamment réussis.

Les mêmes expériences avec une langue artificielle mais « dépourvue » de grammaire, furent vouées à l’échec même avec une langue simple.

Conclusion : Tout petits, les enfants repèrent la grammaire qui gère la dépendance entre les mots pour faciliter leur apprentissage.
Une autre conclusion de cette étude, mise en avant par les auteurs : les connaissances linguistiques d’un enfant dépassent largement sa capacité de production propre.

Bref, nos enfants sont formidables, dotés de capacités immenses sous réserve que nous soyons à l’écoute, pour répondre à leur besoin d’interaction. Ne désespérons pas si le langage tarde à venir  : les neurones miroirs sont bien là, tapis dans l’ombre à faire leur travail.

4 comments for “Le développement du langage chez l’enfant

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.